Ursula K. Le Guin, une femme au sommet de la fantasy
Reconnue aujourd’hui comme une importante figure du genre, Ursula K. Le Guin compte à son actif une grande quantité de récits. Parmi eux, le cycle de Terremer compte parmi les chefs-d’œuvre de la fantasy.
Ursula K. Le Guin et le "rapport à l’autre"
Disparue en janvier 2018, l’écrivaine américaine Ursula K. Le Guin a laissé derrière elle une œuvre littéraire riche, d’autant plus saluée et reconnue depuis sa mort. Fille d’un couple d’anthropologues, exigeante et érudite, Le Guin a axé son travail autour de la question éthique et spirituelle de l'altérité et de la prise en compte du regard de l’autre. Son premier grand ensemble, le Cycle de l’Ekumen (à partir de 1966), rattaché à la science-fiction mais explorant dans chacun des tomes une planète différente, propose une réflexion sur les relations entre peuples colonisateurs et indigènes (dans Planète d’exil, 1966, ou Le nom du monde est forêt, 1972, souvent lu comme une métaphore du conflit vietnamien).
Ses héros sont ethnologues ou diplomates, comme dans Le monde de Rocannon (1966) et La Main gauche de la nuit (1969), récit dans lequel un terrien se retrouve plongé dans un monde où la distinction homme-femme n’est pas opérante. À l’autre extrémité de sa carrière, son dernier roman Lavinia (2008), propose une version de L’Enéide (Virgile, 29-19 av J.-C.) depuis le point de vue de l’héroïne éponyme, princesse du Latium, qu’Enée épouse à la fin de son périple. L'autrice propose ainsi une réflexion sur l’écriture de l’histoire.
Une écrivaine touche à tout
Le style d’Ursula K. Le Guin ne s’exprime pas seulement dans le roman, puisque cette dernière a également été poétesse, parfois traductrice (notamment de l’argentine Angélica Gorodischer pour le superbe Kalpa impérial, 2001), autrice de nouvelles et d’essais critiques importants rassemblés dans le recueil Le Langage de la nuit (1979).
Elle a aussi poussé l’expérimentation anthropologique dans la Vallée de l’éternel retour (1985), livre-dossier uniquement composé de documents qui regroupent rituels, mythes, biographies, poèmes et chants tels qu’ils auraient été rassemblés par des chercheurs, dans un lointain avenir, à propos du peuple Kesh.
Mais elle est également capable d’écrire pour les enfants, comme dans les courts romans de la série des Chats volants à partir de 1988 (une autre forme d’altérité pour ces charmants animaux qui peinent à trouver leur place dans notre monde), ou la trilogie Chroniques des rivages de l’ouest (2004-2007) qui s’attache de manière intimiste à trois parcours d’émancipation.
Le cycle de Terremer, monument de la fantasy
Le grand apport d’Ursula K. Le Guin au genre fantasy demeure cependant son cycle de Terremer (1964-2001), en partie adapté au cinéma par Goro Miyazaki en 2006. Cet ensemble, avec une première nouvelle en 1964 et un roman en 1968, a démarré alors que l’influence de Tolkien devenait de plus en plus présente en fantasy. Pour autant, l’écrivaine a cherché à s’en écarter.
Les cinq romans se déroulent dans un monde archipel peuplé d’humains à la peau foncée et de dragons, et dans lequel la magie se confond avec une maîtrise experte du langage (connaitre le "vrai nom" des choses et des êtres permet d’en contrôler l’essence). Une première trilogie (1968-1972) a pour personnage principal Ged, jeune sorcier doué qui devient archimage de l’école de sorcellerie de Roke.
Publié en 1990, Tehanu, le quatrième volume, suit l’évolution de Le Guin qui tend à s’attacher davantage au parcours de personnages féminins. Le livre reprend l’histoire de Tenar, sauvée par Ged des Tombeaux d’Atuan (1970) dans le second tome, et la poursuit en racontant la façon dont elle sauve à son tour une petite fille maltraitée, qui s’avère apparentée aux dragons.
Enfin, Contes de Terremer (2001), est un recueil de nouvelles, dont certains récits remontent dans un passé lointain comme "Le Trouvier" (2001), sur la fondation de l’école de Roke, et d’autres prolongent la réflexion, comme "Libellule" (1997), ou l’on découvre comment l’héroïne s’est opposée à l’interdiction faite aux femmes d’étudier la magie.
L’intelligence subtile de ses textes et ses thématiques humanistes, annonçant les préoccupations écologistes et féministes d’aujourd’hui, ont donné à Ursula K. Le Guin une place de premier plan au panthéon de la fantasy.