Croyances et religions dans les sociétés de fantasy
La fantasy accorde une importance toute particulière au sacré. Plus qu’un simple élément de décor, la spiritualité ou la religion des personnages joue généralement un rôle décisif dans l’intrigue.
Traditionnellement, le sacré désigne tout ce qui se situe en-dehors de l’ordinaire et ce qui dépasse le simple principe utilitaire. Est considéré comme sacré tout objet ou concept inviolable, dont la légitimité et la supériorité ne peuvent être remises en question. La construction du sacré appartient dès lors aux éléments fondateurs de toute société : ce qu’une population considère comme sacré met en évidence ses croyances, ses coutumes et son histoire, si bien que la relation d’un peuple à la spiritualité apparaît comme une façon de définir son identité.
Les héros prient-ils ?
Il paraît donc logique que la fantasy, qui se plaît à créer des univers riches et souvent complexes, accorde une importance toute particulière au sacré. Plus qu’un simple élément de décor qui contribuerait à la peinture de la société, la spiritualité des personnages et les religions mises en place dans leur monde jouent généralement un rôle décisif dans l’intrigue. Pour donner naissance à un univers de fantasy, les auteurs et créateurs doivent non seulement s’attacher à décrire un cadre dépaysant, des personnages attachants et une histoire originale, mais également prendre en compte les enjeux de la spiritualité dans la société qu’ils créent. Quelles sont les religions observées dans ce monde ? Le sacré correspond-il à des pratiques personnelles ou à une institution bien définie ? Les héros prient-ils, et si oui dans quel but ? Définir le sacré dans une œuvre de fantasy permet bien souvent de structurer l’intrigue, mais aussi de présenter les forces qui régissent le monde, et qui contribuent généralement à la quête des héros.
Les grandes interrogations de l’humanité
Tout en proposant un cadre divertissant et des histoires hautes en couleur, la fantasy s’appuie sur les grandes questions philosophiques qui occupent l’être humain, parmi lesquelles la relation entre le corps et l’esprit, l’existence du divin, le rôle du temps qui passe, la vie et la mort. La fantasy développe très fréquemment des thèmes apocalyptiques, comme à travers la promesse de la fin d’un monde et l’évocation de ses conséquences sur les sociétés. Qu’il s’agisse d’empêcher la destruction d’un univers, de rétablir un ordre apaisé ou au contraire d’apprendre à vivre avec les répercussions du chaos, les protagonistes se tournent vers des enjeux spirituels pour les aider dans leur tâche – ou sont à l’inverse contraints d’œuvrer dans un monde sans foi ni loi.
La vie, la mort, et le reste
La question de la mortalité et de l’immortalité constitue un sujet privilégié des auteurs de fantasy, qui s’interrogent sur l’influence et les enjeux de la fuite du temps, ainsi que sur les notions de liberté et de destin (La Roue du Temps, Robert Jordan et Brandon Sanderson, 1990-2013). Sur le principe des mythes fondateurs, nombre d’œuvres font appel à des prophéties, qui apparaissent comme des forces supérieures souvent trompeuses, et qui guident l’intrigue tout en retenant l’attention du lecteur ou du spectateur. Ce jeu entre la réalité et le mythe, l’histoire et la légende, est au cœur de nombreux récits (Chronique du tueur de roi, Patrick Rothfuss, à partir de 2007).
Chaque œuvre, de façon individuelle, et chaque univers étendu – comme ceux créés par J.R.R. Tolkien, Terry Pratchett, Ursula K Le Guin, Marion Zimmer Bradley, ou encore George R.R. Martin – possède ses propres fonctionnements religieux et ses implications spirituelles. Ainsi la mort n’est-elle pas nécessairement synonyme de disparition : les règles sont entièrement redéfinies, afin d’ouvrir plus de possibilités narratives. Dès lors, la relation des personnages à la vie, la mort et la vie après la mort est bouleversée, tout comme leur rapport au divin et au surnaturel.
De nouvelles divinités
Du fait de l’étendue même des thèmes abordés en fantasy, le sacré ne se limite pas aux divinités traditionnelles du polythéisme ou du monothéisme. La fantasy créé de nouveaux êtres supérieurs, dieux, démons et fées, qui interviennent dans le parcours des héros sur le modèle de l’épopée antique. Le roman American Gods de Neil Gaiman (2001) s’intéresse même à la sacralisation de concepts et de techniques aux XXe et XXIe siècles, notamment liés aux moyens de communication, qui deviennent des formes divines par la ferveur populaire. En fantasy, le sort des dieux et des mortels sont ainsi très souvent liés.
De la spiritualité à la magie
Si la spiritualité n’est pas toujours synonyme de religion, qu’il s’agisse de religion institutionnalisée ou de pratiques individuelles, la nature même de la fantasy invite à mettre en scène des manifestations extérieures de la foi, afin de nourrir le récit. La magie apparaît ainsi comme l’une des marques de cette spiritualité : ce sont bien souvent par des prières et des incantations, ou encore par des dons supérieurs, que les sorciers accomplissent des actes surnaturels. Par ces actes prodigieux, et par un sens du timing aigu, certains magiciens et êtres supérieurs deviennent même de véritables incarnations du "deus ex machina" : par leur habileté à résoudre des situations impossibles à la dernière minute, ils accèdent dans la narration à un statut proche de la divinité, comme les Aigles de Tolkien.
Les intermédiaires des dieux
Ces pratiques entre magie et religion correspondent à une forme de transcendance. Des personnages privilégiés, sous l’impulsion d’un don inné, à force de travail ou généralement, grâce aux deux, parviennent à établir des relations spirituelles avec des éléments supérieurs. Ils entrent en communion avec les dieux, accèdent à une harmonie apaisée avec le monde, explorent les secrets du temps, etc. La fantasy fait régulièrement appel à des personnages dotés de facultés transcendantes, leur permettant d’entrer en relation avec des êtres surnaturels – c’est le cas des prophètes, devins et autres pythies – voire de s’affranchir des lois physiques en accédant à une connaissance supérieure. C’est ainsi qu’ils manipulent les esprits ou encore voyagent dans le temps et l’espace. Dans la fantasy, la transcendance, au sens d’accès à une force supérieure par l’intermédiaire de la spiritualité, possède des manifestations visibles et bien souvent impressionnantes. Plus qu’un simple élément de construction sociale, la foi devient ainsi un moteur de l’intrigue à part entière, en guidant les personnages dans leurs aventures – ou au contraire en contrecarrant leurs projets.
Toutefois, la spiritualité est le plus souvent limitée à des personnages qui s’y dévouent entièrement. Les figures de prêtres, de druides et de mages jouent certes un rôle privilégié en tant qu’intermédiaires entre le monde décrit et celui des esprits. Cependant, à leurs côtés, l’immense majorité des autres personnages conserve une certaine distance avec les pratiques sacrées. Si la foi peut être partagée par tous, ses démonstrations par des rites et des prières sont le plus souvent réservées à des personnages précis, entièrement tournés vers la spiritualité, et qui interprètent le sacré pour le commun des mortels. Bien souvent, la fantasy reprend donc une répartition des fonctions inspirée à la fois de nos pratiques sociales traditionnelles et du jeu de rôle. Selon les règles et les enjeux de l’histoire choisie, plusieurs classes de personnages pourront ainsi revêtir une fonction religieuse ou spirituelle : druide, ensorceleur, magicien, moine ou encore prêtre.
De la foi à l’institution
La fantasy tend généralement à opposer la spiritualité personnelle, bien souvent pure et bénéfique aux personnages, à la religion institutionnalisée, source de corruption, de destruction, voire de fanatisme (La voie des oracles, Estelle Faye, à partir de 2014). Le contexte de développement du christianisme en Europe, à la fin de l’Antiquité et au Moyen Âge, constitue en ce sens une inspiration fréquente des auteurs, qui interrogent les questions d’autorité, de communauté et de tolérance par l’intermédiaire des thèmes religieux. De même, la question d’une spiritualité ou d’une magie féminine, par rapport à leur équivalent masculin, est régulièrement posée, que ce soit dans une opposition nette des genres (Les Illusions de Sav-Loar, Manon Fargetton, 2016) ou dans une tentative de réconciliation des aspirations religieuses (Le Cycle d’Avalon, Marion Zimmer Bradley et Diana L. Paxson, 1983-2009).