Voyage vers ailleurs et autrefois
L'imaginaire de fantasy est bien souvent associé au Moyen Âge, ou à d'autres époques passées. Pour mieux faire rêver les lecteurs, ou introduire une critique du monde moderne, les auteurs nous font voyager dans un temps fantasmé.
De toutes les périodes historiques, le Moyen Âge est semble-t-il celle qui est le plus naturellement associée à la fantasy. Certains auteurs du genre étaient en effet de fins connaisseurs des textes médiévaux. Avant d’écrire Le Hobbit (1937), puis Le Seigneur des Anneaux (1954-1955), J.R.R. Tolkien avait ainsi édité Sire Gauvain et le Chevalier vert, texte du XIVe siècle, et traduit Beowulf, deux classiques de la littérature médiévale anglo-saxonne. Mais le lien entre la fantasy et le Moyen Âge s’explique aussi par le fait que cette époque est perçue dès la fin du XVIIIe siècle comme l’antithèse de la société moderne, antithèse terrifiante pour certains, mais merveilleuse pour d’autres qui doutent des bienfaits des transformations qu’opère la révolution industrielle.
Le Moyen Âge rêvé
Le Moyen Âge, et, par extension, les mondes celtiques, deviennent alors des objets de fascination auxquels on consacre des romans (Walter Scott avec notamment Ivanhoé en 1819), des œuvres d’art (les peintres préraphaélites) et même des bâtiments qui prennent des aspects néo-gothiques. Dans ce vaste mouvement, la tendance à la redécouverte scientifique de cette période fait vite place à un usage onirique. Dès cette époque, et c’est encore le cas aujourd’hui, on rêve plus du Moyen Âge qu’on ne l’étudie.
Au milieu du XIXe siècle, l’architecte Viollet-le-Duc place par exemple des chimères à la balustrade de la façade ouest de la cathédrale Notre-Dame, chimères qui n’existaient pas aux temps féodaux, pour créer l’image d’une période fantastique peuplée de monstres merveilleux.
La fantasy obéit à un processus similaire. Il ne s’agit pas d’écrire un récit historique, mais de composer un conte imaginaire en s’appuyant sur des éléments associés, parfois à tort, à l’époque féodale. En l’espace de deux siècles, au fur et à mesure que les craintes vis-à-vis de la modernité et de ses dérives s’accentuent, le Moyen Âge fantasmé, le "médiévalisme", dont la fantasy est sans doute l’expression la plus aboutie, a pris le pas dans le champ culturel sur le véritable Moyen Âge. Au cinéma et à la télévision, on produit ainsi aujourd’hui bien plus de fantasy médiévaliste que de films et de séries historiques.
Le Moyen Âge de la fantasy se compose donc d’un ensemble de stéréotypes issus de l’imaginaire médiévaliste utilisés pour signifier au spectateur qu’il se trouve dans un autrefois auquel il est habitué depuis plus de deux siècles. Il s’agit d’une altérité totalement familière, un ailleurs proche, qui passe par l’usage massif de thèmes iconographiques : châteaux, chevaliers, princesses, sorcières, mais aussi, aujourd'hui, créatures et peuples merveilleux (dragons, elfes, nains, orques).
Un rêve d'ailleurs
Depuis le XIXe siècle, l’Orient rêvé (l’orientalisme) partage avec l’époque féodale la caractéristique qu'il s'agit des deux "ailleurs" de l’Occident industrialisé, placé pour le premier sur un plan géographique et pour le second sur un plan historique. Nombre d’auteurs et d’artistes fascinés par le médiévalisme ont ainsi produit des œuvres orientalistes (Victor Hugo par exemple, avec Les Orientales, publié en 1829, et La légende des siècles, composé à partir de 1855).
Ce lien se retrouve également dans la fantasy des XXe et XXIe siècles. On trouve parmi les premiers grands films associés au genre des œuvres très librement inspirées des contes du Levant, comme Le Voleur de Bagdad (Raoul Walsh, 1924). Dans Game of Thrones (HBO, 2011-2019), les scènes montrant la Garde de nuit, lointaines évocations des ordres militaires comme les Templiers, suivent parfois celles dépeignant les maisons closes de Port-Réal baignées par le soleil ou les jardins orientaux de Dorne.
Voyage dans d'autres temps ...
Le Moyen Âge n’est pas la seule période historique à être mobilisée par la fantasy. Dans le monde préhistorique créé dans les années 1930 par Robert E. Howard pour les aventures de son héros Conan, on rencontre ainsi des peuples évoquant les Amérindiens (les Pictes), des Égyptiens antiques (Les Stygiens), des guerriers celtes (les Cimmériens), des chevaliers médiévaux (les Aquiloniens) et des flibustiers qui semblent tout droit sortis d’un roman de cape et d’épée consacré au XVIIIe siècle.
Un tel patchwork de temporalités se retrouve également dans Game of Thrones, où des cités antiques dominées par des pyramides à degrés évoquant des ziggourats (Meereen) se mêlent à des villes médiévales comme Port-Réal, alors que les îles de Fer renvoient à la fois aux Vikings et aux pirates de l’Océan atlantique. Tous ces autres âges partagent en effet avec le médiévalisme le fait d’être des ailleurs pré-industriels du monde moderne. Aussi leur mélange ne pose-t-il aucun problème, d’autant qu’ils ont pendant longtemps bénéficié de leur propre littérature, romans de cape et d’épée ou westerns, qui ont produit leurs assemblages de stéréotypes dans lesquels les auteurs de fantasy n’ont qu’à piocher.
Cette superposition d’âges historiques en fantasy a aussi une fonction narrative. En effet, en se déplaçant, les héros changent non seulement de région, mais également de temps. Dans Le Seigneur des Anneaux, les Hobbits quittant la Comté partent ainsi d’un endroit qui évoque la campagne anglaise victorienne pour s’enfoncer dans des royaumes semblant tout droit sortis de récits médiévaux du Xe siècle. Pareillement, Harry Potter (J.K. Rowling, 1997-2007) fuit une triste banlieue pavillonnaire contemporaine pour s’aventurer dans un univers de sorciers régi par des règles immuables depuis le Moyen Âge. L’expérience de la fantasy s’assimile alors à un voyage, non seulement dans l’espace, mais aussi dans le temps, à une époque où la massification du tourisme et l’uniformisation de la culture mondiale font perdre peu à peu au déplacement géographique le caractère merveilleux qui pouvait être le sien au XIXe siècle.
... et dans d'autres mythologies
Pour autant, la fantasy historique ne se limite pas au passé vu d’un œil occidental. Les auteurs d’autres continents, en s’emparant du genre, se sont inspirés d’époques qui, localement, sont perçues comme des antithèses de la modernité. Au Japon, le choix se porte très naturellement sur le temps des samouraïs, d’autant plus qu’il est comparé au Moyen Âge occidental depuis la fin du XIXe siècle. C’est le cas notamment du film Les Contes de la lune vague après la pluie (1953) réalisé par Kenji Mizoguchi, mais aussi de l'anime de Hayao Miyazaki Princesse Mononoké (1997), qui se déroulent tous les deux durant l’ère Muromachi (début XVe - fin XVIe siècle).
La création d’univers merveilleux extra-occidentaux est également influencée par la présence de textes épiques anciens sur lesquels des auteurs locaux peuvent s’appuyer. En Inde, le cycle du Mahabharata (récit rédigé sans doute au IVe siècle de notre ère) inspire de nombreuses œuvres de fantasy, comme la récente et populaire franchise médiatique Baahubali (commencée en 2015), dont l’action se déroule dans une Inde archaïque que l’on pourrait assimiler à notre antiquité.
Le futur sert aussi d’inspiration à la fantasy, un futur souvent post-apocalyptique, dans lequel la civilisation moderne a été détruite et où les survivants sont revenus à un niveau technologique proche du Moyen Âge. Cette vision, qui se développe principalement durant les années 1970 avec des films comme Les Sorciers de la Guerre (Ralph Bakshi, 1977) ou bien l’univers de la série littéraire Shannara, créé par Terry Brooks la même année, symbolise l’aboutissement du processus entamé au XIXe siècle.
Face à une modernité qui veut toujours aller de l’avant et qui affirme que la marche vers le progrès est inéluctable, la fantasy exprime au contraire une angoisse devant cette course effrénée et le besoin de retrouver, le temps d’une lecture, un passé perçu comme un temps immobile et merveilleux.