Quand le grand nord inspire la fantasy
Qu’il s'agisse de paysages glacés, de bêtes étranges ou de dieux mythologiques, nombre des éléments qui constituent aujourd’hui la fantasy proviennent de légendes et contes scandinaves ou germaniques qui ont traversé les âges.
Si la fantasy contemporaine compte de nombreuses sources d’inspiration, on y voit souvent émerger les récits médiévaux scandinaves, aussi couramment appelés la "mythologie nordique". Qu’il s’agisse de caractéristiques divines inspirées par les dieux comme Odin ou Thor, de monstres comme les géants du givre et les trolls, de héros tueurs de dragons équipés de leurs armes magiques, les emprunts sont nombreux, variés et surtout, ne sont pas un phénomène récent.
L’Islande, berceau de la mythologie nordique
L’appellation "mythologie nordique" désigne un ensemble de récits variés, dont les sources écrites proviennent, pour la plupart, de manuscrits islandais médiévaux, rédigés au XIIIe et XVIe siècle, soit bien après la christianisation de l’île. Ces récits ne sont donc pas des témoignages directs de la période pré-chrétienne, mais constituent déjà des réécritures de traditions passées.
Les principales sources encore à notre disposition sont les Eddas et les Sagas, qui décrivent les aventures des divinités et de nombreux héros nordiques. Certains emprunts peuvent être faits à des textes en provenance du continent, comme la Geste des Danois (Saxo Grammaticus, vers 1200) ou L'Histoire des archevêques de Hambourg (1075). Cette œuvre, écrite par Adam de Brême, décrit un temple au toit orné d'or, dans la ville suédoise d’Uppsala, ainsi que les sacrifices qui auraient été pratiqués par les habitants du Nord. Des caractéristiques qui sont encore reprises aujourd’hui dans la série télévisée Vikings (Michael Hirst, depuis 2013) ou dans les jeux de rôle de fantasy historique Yggdrasil (7e cercle, 2009).
Outre les textes, les traces archéologiques de cette époque peuvent toutes contribuer à alimenter les univers de fantasy de différentes manières.
La mythologie nordique fait le tour du monde
L’histoire de la réception de la culture scandinave, depuis le Moyen Âge jusqu’aux œuvres contemporaines, est faite de multiples étapes. La fantasy entretient un lien fort avec la période romantique, durant laquelle s’est développé un attrait particulier pour le Moyen Âge, en réaction au goût pour l’antiquité des Lumières. En conséquence, les œuvres médiévales et les cultures celtes et germaniques sont particulièrement mises à l’honneur. En Allemagne, le travail des frères Grimm joua un rôle important pour la connaissance des textes anciens et le rapprochement des traditions germaniques et scandinaves, durant une période qui fut marquée par le romantisme national. Ces travaux eurent aussi une grande influence sur le compositeur allemand Richard Wagner, dont l’opéra L’Anneau du Nibelung (1849-1876) s’inspire de la saga islandaise Völsungar Saga (XIIIe siècle), qu’il associe à l’épopée médiévale germanique de la Chanson des Nibelungen (XIIIe siècle). Cet opéra marque encore aujourd’hui les représentations des peuples et des dieux nordiques, entre autres par ses costumes qui contribuent à l’imaginaire stéréotypé contemporain.
En Angleterre, William Morris montre lui aussi un goût certain pour la matière nordique. Au cours de sa vie, celui-ci a aussi bien traduit des textes de l’Antiquité grecque que des sagas islandaises, comme la Grettis Saga : The Story of Grettir the Strong (1869) et la Völsung Saga : The Story of the Volsungs and Niblungs, with Certain Songs from the Elder Edda (1870), pour lesquelles il a collaboré avec l’Islandais Eirikr Magnusson.
Tolkien, à son tour, fut lui aussi marqué par le travail de Morris et proposa une réécriture de la Saga des Völsungar sous le titre La Légende de Sigurd et Gudrún (2009). Cette tradition de la réécriture se retrouve aujourd’hui chez Neil Gaiman, autre auteur anglais qui a récemment revisité les mythes nordiques dans Norse Mythology (2017).
Outre-Atlantique, la réception des récits médiévaux scandinaves est un peu moins connue. Toutefois, des auteurs comme Henry David Thoreau et Ralph Waldo Emerson font référence aux anciens textes nordiques dans leurs écrits, et c’est surtout à Henry Wadsworth Longfellow que l’on doit à la fois des travaux de traduction, de présentation et de composition poétique et littéraire. Ses écrits étaient connus par des auteurs tels que Robert E. Howard, le créateur de Conan le Barbare. Aux États-Unis aussi, les réécritures de sagas sont pratiquées, comme le montre Poul Anderson, auteur americano-danois, qui a proposé une réécriture de la Saga de Hrolf Kraki (1973).
Des usages contemporains bien distincts
Aux nombreuses sources et aux différents chemins que prend la transmission s’ajoutent les multiples manières dont les références aux mythes nordiques peuvent aujourd’hui être mises en scène.
D’un côté, la trame historique du récit peut être placée durant la période médiévale scandinave, ou dans les mondes imaginaires des mythes nordiques. On retrouve ce type d’exemples dans les textes de Poul Anderson, tels que L’Épée brisée (1954), ou dans la littérature de jeunesse comme le roman Odd et les géants de glace (2008) de Neil Gaiman. Du côté des jeux, c’est également une pratique courante, qu’il s’agisse de jeux de rôle comme Asgard (XII Singes, 2011) et Yggdrasil (7e cercle, 2009), ou des séries de jeux vidéo à succès, comme le dernier opus de la saga God of War (Cory Barlog, 2018). De nombreux jeux de rôle de fantasy, tels que Runequest (Steve Perrin et Greg Stafford, 1978), Rolemaster (Peter Fenlon, Kurt Fischer et Coleman Charlton, 1980), Dungeons & Dragons (Gary Gygax et Dave Arneson, 1974), ont proposé des suppléments permettant aux joueurs d’incarner des personnages médiévaux scandinaves durant la période viking.
En plus de ces exemples, les œuvres peuvent présenter des éléments nordiques aux côtés d’inspirations venues d’autres cultures. Ainsi, l’Âge Hyborien dans lequel évolue le personnage de Conan illustre parfaitement ce type d’assemblage où se côtoient des références nordiques et des références à la Grèce antique ou à l’Égypte ancienne, ainsi qu’aux Indiens d’Amérique ou à l’extrême orient, pour ne citer qu’eux. Le Nord apparaît alors comme une composante d’un monde vaste et hétéroclite. Ce type de schéma se retrouve de nos jours dans des œuvres à succès, telles que le Trône de fer (à partir de 1996), de George R. R. Martin. Dans American Gods (2001), de Neil Gaiman, où les dieux nordiques tiennent une place centrale, apparaissent également des divinités d’autres mythologies. L’attribution de mythes à certaines communautés permet alors de faire le lien entre récits traditionnels et identités culturelles dans les représentations contemporaines des cultures médiatiques.
Un bestiaire des plus fourni
De façon plus ponctuelle, il est également possible de relever la présence de nombreuses créatures surnaturelles dans les œuvres de fantasy. Les bestiaires utilisés en jeux de rôle, à commencer par Dungeons & Dragons regorgent d’exemples : géants, trolls, dragons, ou encore dame des cygnes. Les poèmes eddiques ont également servi de sources à Tolkien de plusieurs façons, par exemple pour les noms des différents nains dans Le Hobbit (1937) mais aussi celui du magicien Gandalf. Chez Robert E. Howard, les contrées nordiques de l’Âge Hyborien sont peuplées par les Aesirs et les Vanirs, deux peuples qui font référence aux familles de dieux qui s’opposent dans la mythologie nordiques, les Ases et les Vanes.
George R. R. Martin emploie quant à lui de nombreuses références scandinaves médiévales. Ainsi l’on retrouve dans son oeuvre des géants du gel, l'imagerie des corbeaux et des loups, les pouvoirs des wargs qui font allusion à certaines capacités d’Odin ou de héros de sagas, ou encore les wights qui peuvent renvoyer à des créatures surnaturelles scandinaves mortes-vivantes. En termes de narration, le temps des romans, qui amène inéluctablement à une bataille finale, peut aussi faire penser au long hiver qui dure trois années, appelé en norrois le fimbulvetr, durant lequel il est dit que les hommes s'entretueront, et qui précède le Ragnarökr (la dernière bataille marquant la fin du monde).
Ces différents exemples permettent de souligner que les références aux récits médiévaux scandinaves se retrouvent à de nombreux niveaux et à travers plusieurs dimensions qui composent les œuvres médiatiques : paysage, personnages, monstres, récit et action, sonorités dans le cas des œuvres audiovisuelles, et bien d’autres manières.