De la Grèce antique à la fantasy
Bien que contemporaine, la fantasy trouve ses racines dans un passé lointain. De l’Iliade aux Métamorphoses, des dieux grecs aux héros combatifs, la base même du genre n’est autre que celle qui animait déjà les auteurs il y plusieurs millénaires.
S’appuyer sur une base culturelle commune pour mieux la détourner. Voilà en quelque sorte l’essence même de la fantasy, qui s’inspire des mythes et épopées antiques pour créer des récits à la fois originaux et familiers. Ces mythes fondateurs de l’imaginaire occidental offrent de merveilleuses ressources pour le genre, faisant apparaître à la fois des héros valeureux, des combats épiques, des aventures pleines de rebondissements, des êtres aux pouvoirs supérieurs, et des créatures fabuleuses.
Le genre reprend tout particulièrement les traits de l’épopée antique, associant mythe et histoire dans un style élevé et hyperbolique, et cherchant à glorifier les exploits des héros. Quand l’Iliade (VIIIe s. av. J.-C.) se concentre sur l’action guerrière et les combats héroïques, dans son récit du siège de Troie par l’armée grecque, l’Odyssée (VIIIe s. av. J.-C.) raconte les errances d’Ulysse en Méditerranée, offrant un récit de voyage émaillé d’aventures merveilleuses, et peuplé de créatures fantastiques.
Les héros face au Bien et au Mal
Tous ces éléments se retrouvent particulièrement dans la "high fantasy", qui se caractérise notamment par un affrontement épique entre le Bien et le Mal. Comme les héros des épopées antiques, les personnages de fantasy peuvent accomplir de grands exploits seuls ou au sein d’un groupe de héros, majoritairement masculins. Le héros y apparaît alors comme un personnage exceptionnel. Achille, le protagoniste de l’Iliade (VIIIe s. av. J.-C.), fils d’une déesse et d’un mortel, est un demi-dieu. Il est un guerrier brave et puissant qui fait figure de modèle, reflétant les valeurs de sa société guerrière, incarnant les qualités que doit alors avoir un homme : le courage, la force physique et l’adresse au combat. Or, Achille est également menacé par l’hybris, "la démesure", c’est-à-dire l’excès d’orgueil.
Sur le modèle de l’épopée, bien des héros de fantasy connaissent eux aussi une ascendance exceptionnelle, et doivent prouver leur prouesse sur les champs de bataille. Même quand ce n’est pas le cas – Frodo Sacquet, le héros du Seigneur des Anneaux (J.R.R Tolkien, 1954-1955) est tout l’opposé d’un Achille –, ils sont le plus souvent engagés dans une lutte épique pour des valeurs positives, comme libérer un peuple, sauver leurs amis, vaincre les forces du Mal. Pour cela, ils s’appuient à la fois sur leur force physique (Conan le Barbare, R.E. Howard, 1932), sur leurs prouesses intellectuelles, telle la ruse de Tyrion (Le Trône de Fer, G.R.R. Martin, à partir de 1996), mais aussi sur de fortes valeurs humaines comme l’honneur, la loyauté et l’amitié.
Des personnages tout en nuances
Si la fantasy emprunte des modèles narratifs aux épopées antiques, elle s’inspire aussi de leurs représentations des relations humaines et des personnages tout en nuances. Malgré une apparence manichéenne, qui opposerait simplement les "gentils" aux "méchants", l’épopée s’appuie souvent sur une grande subtilité : Achille, Ulysse et Hector (Iliade, VIIIe s. av. J.-C. ) sont des héros passés à la postérité pour leur habileté au combat, mais se caractérisent également par des qualités qui leur sont propres, et ne sont pas des protagonistes interchangeables. De même, l’héroïsme de Bilbo (Le Hobbit, J.R.R. Tolkien, 1937) est bien différent de celui d’Arya (Le Trône de Fer) ou de Thrall (World of Warcraft, à partir de 2004), et les motivations des terribles Sauron et Saruman divergent fortement (Le Seigneur des Anneaux). À partir de codes communs, qui visent à glorifier l’être humain et ses liens sociaux, la fantasy s’approprie à la fois la force des personnages épiques et leur subtilité.
Musique, magie et merveilles
Il n’est pas anodin que la fantasy accorde une grande importance aux chansons et à la musicalité, à l’instar des chants que Tolkien inclut par exemple dans ses œuvres. À l’origine, l’épopée était d’ailleurs un long poème retraçant les exploits d’un héros, d’un groupe de chevaliers, voire de tout un peuple, le tout bien souvent mis en musique. Dans l’Antiquité, ce sont les aèdes, puis les bardes et les troubadours du Moyen Âge, qui diffusent ces textes de tradition orale et contribuent à leur succès à travers toute l’Europe. Les épopées sont récitées avec un accompagnement musical, chantées ou bien "cantilées", ce qui correspond à une présentation intermédiaire entre la déclamation et le chant. De même, nombre d’œuvres de fantasy incluent des chansons ou se déclinent en numéros musicaux, qui complètent et enrichissent l’univers narratif (Le Donjon de Naheulbeuk, John Lang, alias "Pen of chaos", 2001).
Comme pour les épopées antiques, le merveilleux joue aussi un rôle déterminant en fantasy. Dans l’Énéide de Virgile (Ie s. av. J.-C.), le récit se partage entre le plan humain (les combats des héros, les enjeux politiques, etc.) et le plan divin (les dieux de l’Olympe soutenant tel héros ou semant d’obstacles la route de tel autre). Dans la fantasy, la magie est d’ailleurs bien plus présente que dans les modèles antiques et médiévaux, jusqu’à devenir une composante fondatrice du genre, comme dans le Cycle de Terremer (Ursula K. Le Guin, 1964-2001).
Enfin, les personnages de fées, de sorcières et de mages possèdent aussi un rôle de premier plan, développant ainsi la fonction initialement accordée au merveilleux. Sur le modèle des mythes, la fantasy se plaît à mettre en scène des interventions divines ou surnaturelles, via l’apparition d’êtres supérieurs, dotés de qualités et de défauts parfois très humains, intervenant dans la quête des héros, pour les aider ou pour contrecarrer leurs plans. Cela passe par des dons d’objets magiques, par l’envoi de créatures monstrueuses (The Legend of Zelda, Nintendo, à partir de 1986), ou même par la métamorphose des héros, un procédé cher aux mythes antiques.
L’influence des dieux sur le monde
Certains récits de fantasy se rapprochent encore plus directement des cosmogonies et des théogonies antiques, qui donnent à voir la création du monde et des dieux (Le Silmarillion, J.R.R. Tolkien, 1977, publication posthume), et l’impact direct des divinités sur les sociétés humaines (La Belgariade, David Eddings, 1982-1984). Les mythes fondateurs permettent de structurer le monde et d’en expliquer les mystères, ce que la fantasy reprend pour donner naissance à des univers cohérents et complets (Lanfeust des Étoiles, Christophe Arleston et Didier Tarquin, 2001-2008). Dans la narration, les sphères divine, humaine et surnaturelle se rencontrent fréquemment, de façon pacifique ou conflictuelle. Les mythes antiques, plus encore que les épopées qui accordent une place prépondérante aux héros humains, s’intéressent également aux affaires divines pour elles-mêmes, en plus de considérer l’influence qu’elles peuvent avoir sur les mortels.
À la suite de ces mythes, certains auteurs de fantasy choisissent de prendre pour héros des êtres surnaturels (De bons présages, Terry Pratchett et Neil Gaiman, 1990). Que les êtres humains mis en scène croient ou non aux interventions des divinités, l’intégration d’êtres surnaturels et de leurs pouvoirs magiques offre de nombreuses possibilités pour les auteurs de fantasy.