Les Métamorphoses d'Ovide, une référence universelle
Depuis le récit éponyme d’Ovide, la métamorphose est l’un des thèmes les plus puissants de la fantasy. Magique, l’effet n’en est pas moins mystérieux, voire inquiétant, pour le lecteur.
Un récit sans équivalent
Les Métamorphoses d’Ovide (Ier siècle) livrent en une épopée longue de quinze chants une somme érudite sur la mythologie gréco-latine qui n’a pas d’équivalent, si ce n’est la Théogonie du grec Hésiode (VIIIe av. J.-C.). L’œuvre d’Ovide forme un poème continu de 12 000 vers et plus de 230 fables dans lequel l’auteur se réapproprie l’ensemble des mythes transmis oralement ou dans les œuvres d’auteurs grecs et latins. Il propose une histoire des origines de l’univers et dresse la généalogie des dieux, des héros (les demi-dieux au sens étymologique) et des hommes, depuis le chaos primitif jusqu’au principat d’Auguste, qui marque le passage du temps mythique au temps historique.
Ce poème trouve son unité dans la thématique de la métamorphose, qui illustre une philosophie de la fluidité universelle, héritière du grec Héraclite (VIe-Ve siècles av. J.-C.) : tout s’écoule, rien ne demeure. Ovide présente une vision du monde dans laquelle l’unique loi est celle de la transformation et où, à chaque instant, les limites entre les éléments, les règnes, les espèces sont susceptibles de s’effacer. Les humains, le plus souvent, se voient devenir animaux, végétaux ou minéraux, mais les divinités ne sont pas épargnées par le phénomène. Ce sont les dieux qui procèdent à la métamorphose, souvent pour châtier un mortel qui les a défiés (la tisserande Arachné est changée en araignée par Minerve), parfois pour le sauver d’un sort plus terrible (Daphné devient laurier pour échapper à Apollon), lui offrir une forme d’immortalité (Vénus transforme le sang de son amant Adonis en fleur) ou une récompense (Vénus fait de la statue de Pygmalion une femme).
Un réservoir de mythes pour les artistes
Les Métamorphoses ont été lues depuis deux mille ans comme un immense réservoir de fables qui ont suscité de multiples interprétations, réécritures et représentations picturales, sculpturales ou musicales. Les mythes repris dans la fantasy contemporaine puisent pour la plupart leurs racines dans ce texte, même si c’est le plus souvent par le biais de plusieurs médiations.
Ainsi, le motif de la métamorphose est prégnant en fantasy, où les personnages qui en subissent les effets sont légion, comme Nymphadora Tonks et Ted Lupin, métamorphomages capables de changer d’apparence à volonté dans Harry Potter (J. K. Rowling, 1997-2007). Le plus souvent, ce sont les frontières entre l’homme et l’animal qui s’atténuent, à l’instar de Beorn, qui se change en ours dans Le Hobbit (J.R.R. Tolkien, 1937), l’animagus Sirius Black qui se métamorphose en chien dans Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban (1999), Shaé en panthère et en aigle dans L’Autre (Pierre Bottero, 2006-2007), ou encore certains druides en animaux de la forêt dans le jeu de rôle Donjons et Dragons (Gary Gygax et Dave Arneson, depuis 1974).
Le mythe de Lycaon, cruel roi d’Arcadie changé en loup par Jupiter dans le livre I des Métamorphoses, a lui aussi connu une postérité particulièrement riche en fantasy. La lycanthropie est ainsi mise en scène dans Harry Potter et Twilight (Stephenie Meyer, 2005-2008), comme dans les séries True Blood (Alan Ball,2008-2014) ou Teen Wolf (Jeff Davis, 2001-2017). La fantasy présente aussi de nombreux cas de cohabitation ou de fusion entre âme humaine et animale : Lyra Belacqua et son dæmon Pantalaimon dans À la croisée des mondes de Philip Pullman (1995-2000), Fitz et le loup Œil-de-nuit auquel il est lié par le Vif dans L’Assassin Royal de Robin Hobb (1995-2017), Bran Stark et la corneille qui lui transmet son don de voyance dans Game of Thrones (George R.R. Martin, depuis 1996). Mais la métamorphose peut aussi se révéler être un châtiment, comme la transformation punitive d’Eustache en dragon dans L’Odyssée du passeur d’aurore (C.S. Lewis, 1952).
Des créatures devenues intemporelles
Les frontières entre l’humain et le végétal sont parfois elles aussi brouillées, comme dans La horde du contrevent d’Alain Damasio (2004), où le personnage de Steppe se transforme en bouleau. La sorcière blanche de Narnia change ses ennemis en pierre dans Le lion, la sorcière blanche et l’armoire magique (C.S. Lewis, 1950), tandis que la greyscale qui atteint Jorah Mormont dans Game of Thrones est une forme de pétrification.
Enfin, de nombreuses créatures héritées de la mythologie gréco-latine telle que nous l’a transmise Ovide peuplent les univers de fantasy : les dryades et faunes de Narnia et les centaures de la forêt interdite de Poudlard font partie, comme les pégases, sirènes ou cerbères, d’un matériel imaginaire dissocié de son univers d’origine et devenu intemporel.