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La fantasy à l’aube du XXIe siècle

Par Anne Besson

De l’expansion des grands cycles littéraires à l’arrivée d’internet, les deux dernières décennies du XXe siècle ont marqué l’histoire de la fantasy. Plus présente dans la culture de masse, elle s’est imposée dans la littérature contemporaine et le cinéma.

Dans les années 1980 et 1990, la fantasy littéraire poursuit son expansion dans la même voie tracée par les succès des années 1970. C’est alors l’époque des grands cycles "post-tolkieniens" qui établissent fortement l’identité du genre. Puis, au tournant du XXIe siècle, les succès-phénomènes de Harry Potter (J.K. Rowling, 1997-2007) et du Seigneur des Anneaux adapté au cinéma par Peter Jackson (2001-2003), permettent à la production de prendre une tout autre ampleur et donc de se diversifier d’une façon impressionnante.

"Avec le succès d’Harry Potter et de l’adaptation du Seigneur des anneaux de Peter Jackson, la fantasy entre dans une nouvelle dimension à la fin des années 1990."

Le modèle du cycle

A partir de 1977, et l’apparition de la série des Shannara de Terry Brooks, vont se développer de nombreux ensembles romanesques, ces histoires en plusieurs volumes qu’on peut qualifier de "cycle", "saga", "chroniques", et qui établissent les codes récurrents de la fantasy. Ce modèle de publication étalé sur dix, vingt ou trente ans, en volumes toujours plus nombreux, traduit la volonté, inspirée du modèle de Tolkien, de donner progressivement cohérence et consistance à un univers fictionnel conçu comme complet et autonome.

 

Le modèle du cycle apparaît dans les années 1980 avec les séries La Belgariade (1982-1984) et La Mallorée (1987-1991) de David Eddings, mais aussi avec Les chroniques de Krondor (depuis 1982) de Raymond Feist. Il évolue alors rapidement, avec La Tapisserie de Fionavar (1984-1986) du canadien Guy Gavriel Kay, puis continue son développement jusque dans les années 1990, avec la monumentale Roue du Temps (1990-2013) de Robert Jordan (quatorze volumes dont trois posthumes), L’Epée de vérité (1994-2015) de Terry Goodkind, et le désormais célèbre Trône de fer (depuis 1996) de George R.R. Martin.

 

Une véritable unité générique, désormais bien identifiée et fortement reconnaissable, se dégage de ce mode de création qui mêle de grands motifs repris chez Tolkien et l’utilisation des codes esthétiques et narratifs de la fantasy populaire américaine. Ainsi  le récit chez ces différents auteurs est rapide et rythmé, le style plus simple et moins descriptif, l’action plus "musclée".

Comment écrire de la fantasy et de la science-fiction, d'Orson Scott Card (2018) Éditions Bragelonne, 2018
Le Gambit du magicien, La Belgariade, 3, de David Eddings (2007) Éditions Pocket, 2007

Des thèmes récurrents

Même si chaque œuvre présente ses variations personnelles, une identité du genre se fixe, à mesure que reviennent les mêmes traits, comme autant de signaux d’appartenance à la fantasy. Les codes du cycle de fantasy proposent alors des personnages voyageant dans des mondes secondaires qui sont globalement d’inspiration "médiévale-fantastique". Ils  y rencontrent les peuples façonnés par Tolkien, parfois sous un autre nom.

 

Le héros, souvent au centre d’un groupe de quêteurs rapidement constitué, est un adolescent ou un jeune homme issu des strates les plus basses de la société, "petit" personnage qui révèle une identité et une destinée hors du commun. On peut citer de nombreux exemples : Garion dans La Belgariade de David Eddings, est élevé dans une ferme alors qu’il est l'héritier caché du Royaume de Riva et qu'il doit devenir le gardien de l'Orbe d'Aldur, ou bien le héros des Chroniques d’Alvin le Faiseur (depuis 1987) d’Orson Scott Card, qui deviendra un puissant magicien sans jamais cesser de s’exprimer comme le "p’tit gars de la cambrousse" qu’il est fier d’être...

Le Septième Fils, Les Chroniques d'Alvin le Faiseur, 1,
d'Orson Scott Card, illustré par Vincent Madras (2020) Éditions L'Atalante, 2020

Leur mission consiste canoniquement à affronter avec leurs alliés une puissance maléfique un temps endormie, comme l'étaient celles de Morgoth et Sauron chez Tolkien : les dieux dans La Belgariade, Rakoth Maugrim dans La Tapisserie de Fionavar, les Marcheurs blancs au-delà du Mur dans Le Trône de fer, ou le puissant sorcier et tyran Darken Rahl dans L’Epée de vérité de Terry Goodkind. L'idée d'une reprise de la lutte, d'un retour à un passé lointain devenu légendaire, se retrouve donc dans la majorité des exemples – le titre même du cycle de Jordan, La Roue du Temps, renvoie à un temps cyclique de l'éternel retour.

La voie obscure, La Tapisserie de Fionavar, 3, de Guy Gavriel Kay, illustration de John Howe (1992) John Howe, 1992

Les caractéristiques du genre sont dès lors suffisamment bien établies pour se prêter à des reprises parodiques, celles-ci ayant besoin de clichés reconnaissables sur lesquels jouer. Terry Pratchett commence ses fameuses Annales du Disque-Monde en 1983, et la fantasy humoristique constitue toujours une part essentielle du genre, avec par exemple en France Noob (Fabien Fournier, depuis 2008) ou Le Donjon de Naheulbeuk (John Lang, depuis 2001). Les amateurs de fantasy, tout en appréciant de retrouver leurs références favorites, ont aussi une vraie distance critique et aiment à rire de ces œuvres qui rivalisent de sérieux et de noblesse.

Les années 2000 et le boom de la fantasy

Avec le succès d’Harry Potter et de l’adaptation du Seigneur des anneaux de Peter Jackson, la fantasy entre dans une nouvelle dimension à la fin des années 1990. Au même moment, l’arrivée d’internet dans les foyers entraîne une révolution des pratiques culturelles. Les premiers à investir alors l’espace du Web sont ceux qu’on appelle les "geeks", ces férus de nouvelles technologies mais aussi de culture pop et de genres de l’imaginaire, public jusqu’alors marginal qui se met à imposer ses goûts au cœur des nouvelles consommations.

 

On assiste donc depuis le tournant du siècle à une explosion quantitative de la production littéraire et médiatique, omniprésente dans les rayons des librairies et sur les écrans, ce qui permet une très forte diversification du domaine, que ce soit dans les sous-genres ou dans les aires culturelles représentées, puisque le Moyen Âge occidental laisse place à d’autres lieux et d’autres cultures qui enrichissent la diégèse de leur propre forme de merveilleux.

 

Les territoires d’Asie apparaissent, avec le Japon (Le Clan des Otori de Lian Hearn, à partir de 2002), la Chine (Les chevaux célestes et Le fleuve céleste, de Guy Gavriel Kay, 2010 et 2013), ou encore la Birmanie (l’Emorie ou Mynmari, le Pays des Dragons, dans Reine de Mémoire d’Elisabeth Vonarburg, 2005-2007). L’Orient est souvent un des espaces imaginaires convoqués au sein d’un monde plus vaste, comme le continent d’Essos chez George R.R. Martin, ou la région de Krasie et ses souverains Ahman Jardir et Inevera dans Le Cycle des Démons (Peter V. Brett, 2008-2017). La franco-américaine Aliette de Bodart a consacré une trilogie aux Chroniques aztèques (2010-2011), et les différentes formes de chamanisme font partie des magies qui attirent par leur exotisme et leur ancrage dans des cultures existantes. Les rites des Indiens d’Amérique du nord et du sud apparaissent ainsi dans la série Le Soldat Chamane de Robin Hobb (2005-2007), et la sorcellerie africaine est mise à l’honneur dans les romans de Nnedi Okorafor tel que Zahrah the Windseeker en 2005 et Akata Witch à partir de 2011.

La Lance du Désert, Le Cycle des Démons, 2, de Peter V. Brett (2015) Éditions Bragelonne, 2015

Enfin, la plupart des exemples cités jusqu’ici sont anglophones, c’est aussi à la faveur de ce développement quantitatif majeur et durant cette dernière période de l’histoire de la fantasy que le genre a pu essaimer un peu partout dans le monde, et notamment en France, où la production nationale est désormais très bien représentée.

Le Dictionnaire de la fantasy, sous la direction de Anne Besson (2018) Vendémiaire Éditions