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La fantasy en France, un long chemin

Par Anne Besson

Bien que présente en France depuis des décennies, la fantasy a dû attendre le tournant du siècle pour être reconnue en tant que genre singulier, grâce au travail de passionnés et de maisons d’éditions indépendantes.

Corps
2000
"Le mot "fantasy" s’installe en France, alors qu'apparaissent des collections qui lui sont dédiées."

Une apparition tardive dans le champ éditorial

C’est avant tout un manque d’identification qui est la cause de l’arrivée tardive de la fantasy en France. Car si nombre d’œuvres étaient déjà publiées, aucune collection spécifique n'existait pour les faire vivre, et le nom même de fantasy ne s'employait pas encore.

 

Ainsi, Le Seigneur des Anneaux (1954-1955) de J.R.R Tolkien n’a été traduit en France qu’en 1972-1973 par la maison d’édition Christian Bourgois, soit bien plus tard que dans les autres pays d’Europe. Les grands cycles majeurs, eux, nous sont parvenus dans l’orbite d’autres genres. D’abord celui du fantastique, avec la collection "Aventures fantastiques" chez Opta, puis celui de la science-fiction. Les cycles de Jack Vancel sont traduits au "Club du Livre d’Anticipation", Le Cycle des Princes d’Ambre de Roger Zelazny chez « Présence du Futur », puis en « Folio SF ». Le nom de "science-fiction" va d’ailleurs longtemps dominer l’édition française, servant de catégorie englobante, y compris pour ce qu’on découvre dans les années 1980 sous le nom d'"héroïc fantasy".

 

C’est seulement à la fin des années 1990 et au début des années 2000 que le mot "fantasy" s’installe, quand apparaissent des collections et des maisons d’édition qui lui sont spécifiquement dédiées, telles que Nestiveqnen et Mnémos, créées dans l’orbite directe d’éditeurs de jeux de rôle. En 2000, la maison d’édition Bragelonne va d’emblée publier David Gemmell ou Terry Goodkind, de grands auteurs qui n’étaient jusqu’alors pas traduits en France, s’assurant de grands succès publics qui seront la base de son expansion.

De l’importance des passionnés 

Les groupes de fans font alors vivre la fantasy en France. De nombreux acteurs de ce qu’on appelle la "micro-édition", secteur dynamique mais très fragile, voient le jour. Des festivals de plus en plus nombreux et des groupes d’aficionados qui apparaissent grâce à internet s’imposent comme les meilleures sources d’information sur le genre.

Sons of Midgard, deux marchands varègues vikings au Festival des Imaginales (2019) Gisèle Nedjar

L'importance grandissante du secteur et l'expertise développée par le lectorat français se traduisent alors par des entreprises de mise à disposition du patrimoine de la fantasy, qu’il s’agisse des premières traductions de William Morris par les éditions "Aux forges de Vulcain", des nombreuses intégrales proposées (chez Bragelonne, Pocket, J’ai Lu…), ou encore des retraductions qui témoignent d’un nouveau rapport très respectueux aux textes originaux, avec les travaux de Patrice Louinet sur Robert E. Howard, de David Camus sur H. P. Lovecraft, ou encore les nouvelles traductions de Tolkien par Daniel Lauzon.

Imaginales, Le festival des mondes imaginaires, Affiche du festival 2022, illustration de Gaëtan Brizzi (2022) https://www.imaginales.fr

La fantasy à la française

Les œuvres écrites en français par des francophones ont longtemps été considérées comme "secondaires". D’apparition tardive, elles peinaient à s’imposer au milieu des traductions. Mais la production française est désormais parvenue à pleine maturité. On redécouvre d’ailleurs aujourd’hui une fantasy française oubliée, comme Les centaures (André Lichtenberger, 1904, réédité en 2017 par les éditions Callidor) ou le dyptique Khanaor (1983) de Francis Berthelot. Mais c’est bien encore à la fin des années 1990 que surgit la "nouvelle école française" de fantasy, fort bien représentée par le trio composé de Mathieu Gaborit (Les Chroniques des Crépusculaires, 1995-1996), Fabrice Colin (Arcadia, 1998, Winterheim, 1999-2003) et Henri Loevenbruck (La Moïra et Gallica, à partir de 2001).

Les Centaures, d’André Lichtenberger, gravure de Victor Prouvé (1924) Bibliothèque nationale de France

Des éditeurs accueillent désormais des auteurs français aux imaginaires singuliers et exigeants, comme la maison la Volte pour Alain Damasio et sa fameuse Horde du contrevent (2004), ou encore la maison Les moutons électriques, dirigée par André-François Ruaud, qui accompagne la carrière de Jean-Philippe Jaworski pour ses Récits du vieux royaume (à partir de 2007) et Rois du monde (à partir de 2013).

 

D’autres éditeurs indépendants ont également su s’imposer, comme Scrinéo, qui publie notamment Gabriel Katz, ActuSF avec Karim Berrouka ou encore Critic’ pour Estelle Faye et  Lionel Davoust. Enfin, les acteurs "historiques" du domaine ont aussi permis l’épanouissement des talents français : L’Atalante avec Régis Goddyn, Mnémos avec par exemple Adrien Tomas et Charlotte Bousquet, ou Bragelonne avec en particulier Pierre Pevel, grand représentant d’une tradition feuilletonesque française auquel il rend hommage dans ses séries Les Enchantements d’Ambremer (2003), évoquant l’esprit des Arsène Lupin, ou encore Les Lames du Cardinal (2007), convoquant ici Alexandre Dumas. Cette série a d’ailleurs été la première série de fantasy française à se voir à son tour traduite aux Etats-Unis.

La Route de la Conquête, de Lionel Davoust,
couverture illustrée par François Baranger (2014) Éditions Critic