William Morris, l’écrivain aux mille visages
Passionné d’histoire, défenseur des faibles, écrivain de renom, pionner du design, les qualificatifs ne manquent pas pour décrire William Morris. L’auteur a offert ses premières lettres de noblesse à la fantasy.
Un artiste protéiforme
William Morris (1834-1896) fut le grand artisan de la naissance de la fantasy en Angleterre, au cœur des mouvements convergents ayant contribué à l’apparition du genre. Outre ses travaux graphiques, il se distingue aussi comme traducteur, imprimeur, réformateur politique militant… et auteur des premiers romans de fantasy.
Un pionnier du design
S’il est animé par plusieurs centres d'intérêt, tous ont pour point commun la passion pour les merveilles du passé, particulièrement celles du Moyen Âge. Artiste polyvalent, Morris est surtout connu aujourd’hui en tant que membre du mouvement pictural préraphaélite, et notamment comme un des pionniers du design, arts décoratifs ou artisanat d’art, dans le cadre de l’Arts and Crafts Movement. Ainsi ambitionne-t-il de retrouver des gestes et de produire de beaux objets à la portée du plus grand nombre, afin que l’alliance de l’esthétique et de l’utilitaire procure aux producteurs comme aux usagers la satisfaction quotidienne d’une élévation par le travail.
L’architecture, le mobilier, la décoration, tout doit coïncider dans cet idéal mis en œuvre notamment dans sa propre "Red House", construite et occupée de 1859 à 1865. Morris a même mis sur pied une imprimerie pour réinventer les techniques et typographies des manuscrits médiévaux à l’ère industrielle. Entre 1891 et 1898, 54 titres sont publiés à Kelmscott Press, maison d’édition de l’auteur, dont 17 des siens et une fameuse édition des Contes de Canterbury de Geoffrey Chaucer (fin XIVe), illustrée par le grand artiste préraphaélite Edward Burne-Jones.
Un traducteur et poète...
En son temps, William Morris a tenu un rôle de passeur culturel de premier plan pour la préservation du patrimoine et la (re)découverte des traditions épiques et mythiques de l’Angleterre. Il a ainsi traduit, adapté ou réécrit les textes fondateurs de la fantasy : œuvres antiques avec ses traductions de L’Énéide de Virgile, en 1875-1876, et de L’Odyssée d'Homère, en 1887-1888, poème épique anglo-saxon Beowulf (en 1895, avec A.J. Wyatt), romans médiévaux français (Old French romances, 1896) ou surtout traditions nordiques qu’il contribue à faire connaître via ses collaborations avec l’érudit islandais Eiríkr Magnússon.
À eux deux, ils co-signent une traduction au style archaïsant de la Völsunga Saga (1870), avant que Morris n’en propose une vaste réécriture en hexamètres épiques, The Story of Sigurd the Volsung et The Fall of the Niblungs (1876). Il se passionne enfin pour la légende arthurienne, et n’hésite pas à dialoguer avec le grand poète de l’époque, Lord Alfred Tennyson, auteur des Idylles du Roi (1859), en donnant la parole à la reine contre la morale conservatrice qui la condamne, dans "The Defense of Guenevere" (1858).
... libertaire et engagé
Le Moyen Âge de William Morris est conforme à ses idéaux politiques très marqués à gauche. L’auteur envisage cette époque comme une ère de fraternité favorable aux marginaux, femmes et prolétaires, qu’il n’a cessé de défendre. Morris, dont la vie personnelle a fait scandale (il a vécu à Kelmscott Manor avec son épouse Jane Burden et son grand ami, le tumultueux Dante Gabriel Rossetti, amant de celle-ci), mettait les personnages féminins au premier plan, comme Petite-Grive, dont on suit l’errance dans Le Lac aux îles enchantées (1897).
Co-fondateur en 1885 de la Socialist League, dont il sera le mécène et l’infatigable porte-parole, Morris a largement consacré la fin de sa vie hyper-active à la lutte sociale, aux côtés des plus pauvres. Ses fictions, qu’il s’agisse des romans historiques merveilleux comme The House of the Wolfings (1889), qui défend la noblesse des peuples du Nord face à l’invasion romaine, des utopies politiques futuristes comme Nouvelles de Nulle part (1890), ou encore des textes de fantasy qui occupent ses toutes dernières années, proposent toutes des modèles de société alternatifs. Non seulement Morris s’efforçait de changer le monde à son échelle, mais il en rêvait également l’âge d’or, et prônait pour remplacer la domination capitaliste et la défiguration industrielle un idéal pastoral, communautariste et moralement libertaire.
Enfin, Morris est un des premiers à mettre en scène, à destination des adultes et dans une langue volontairement archaïsante, des mondes imaginaires dont le surnaturel est l'un des traits constitutifs : autrement dit, des romans de fantasy. Ces contes initiatiques, très dépaysants pour ses contemporains, tels que La plaine étincelante (1890), The sundering flood (1897, posthume, le seul à comporter une carte en ouverture), et surtout Le bois au-delà du monde (1894), La Source au bout du monde (1896) et Le Lac aux îles enchantées (1897) - n’ont été que tardivement et partiellement traduits en français.