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Focus Auteur

Wagner, à l'aube de la fantasy

Par William Blanc

L’œuvre de Richard Wagner exerce une grande influence sur les auteurs de fantasy. A tel point que certains de ses opéras, notamment ceux composant L’Anneau du Nibelung, peuvent être considérés comme une préfiguration du genre.

Corps

Puissance du chœur et de l’orchestre

La musique classique est omniprésente dans le cinéma de fantasy, proposant souvent des morceaux symphoniques interprétés par des orchestres importants. La puissance ainsi produite renvoie à l’aspect épique de nombreuses œuvres du genre, où la guerre et le combat entre le Bien et le Mal sont centraux.

 

Dès le début, on remarque la forte présence du chant dans de nombreuses bandes originales de films. La mise en musique des vers elfiques Namárië de J.R.R. Tolkien, dans Poems and Songs of Middle Earth (1967), renvoie ainsi aux chants grégoriens médiévaux, sans doute pour donner une tonalité ancienne à la mélodie. De même, l’adaptation de poèmes du XIIIe siècle (les Carmina Burana) par Carl Orff en 1935, a servi de fondation à nombre de bandes originales de films, s’appuyant sur un chœur puissant et un chant en latin, caractéristiques que l’on retrouve par exemple dans la musique de Conan le barbare (1982) de Basil Poledouris, et qui renforcent la sonorité archaïque et étrange, mais en même temps familière, de la composition.

Classique, Musique de film

The Gift of Fury

Artiste : Basil Poledouris

Album : Conan Le Barbare - Bande Originale Du Film

1 disque 33 tours 30cm
BnF, département de l’Audiovisuel, SD 30-72308

© MCA Records, 1984

Le Ring, une œuvre préfiguratrice

C’est l’opéra, et particulièrement celui de Richard Wagner, qui sert d’inspiration centrale aux compositeurs de musique de films de fantasy. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce phénomène. Tout d’abord, une partie de l’œuvre de Wagner, composée dans la seconde moitié du XIXe siècle, alors que s’affirme en Angleterre la confrérie préraphaélite, pourrait constituer une forme de prémices de la fantasy, dans la mesure où elle réécrit les mythes médiévaux. C’est particulièrement vrai pour L’Anneau du Nibelung (joué pour la première fois en 1876), cycle de quatre opéras (appelé aussi le Ring) inspirés des récits de la mythologie nordique, et dont le texte fait aussi écho à l’actualité contemporaine (notamment à l’industrialisation et aux révolutions de 1848). Cette tétralogie annonce d’ailleurs la construction multimédiatique des univers de fantasy à la fin du XXe siècle. Le Ring est en effet conçu par Wagner comme une œuvre d’art total (« Gesamtkunstwerk » en allemand), qui mêle tous les supports, de l’image (les décors) au texte (le livret), en passant par la musique et l’architecture (le palais des festivals de Bayreuth est construit spécialement pour accueillir la tétralogie).

Parsifal de Richard Wagner, maquette de décor dessinée par René Rochette (1914) Bibliothèque nationale de France

De plus, bien que Tolkien ait explicitement rejeté toute idée de comparaison entre son œuvre et celle de Wagner, il existe une forte proximité entre la tétralogie du compositeur allemand et la trilogie du Seigneur des Anneaux : sources souvent similaires (la Volsungä Saga par exemple) que les deux auteurs vont réécrire, travail sur différents médias (Wagner et Tolkien mélangent texte et sonorité, l’un avec la musique, l’autre avec la philologie), présence centrale de l’anneau, fascination pour la fin des temps, critique de la modernité. Ceux que l’auteur du Hobbit inspirera ne s’y tromperont d’ailleurs pas. John Boorman utilise ainsi pour son film Excalibur (1981), qui devait être à l’origine une adaptation du Seigneur des Anneaux, de nombreux morceaux tirés des opéras de Wagner et plus particulièrement « La Marche funèbre » de Siegfried écrite pour Le Crépuscule des dieux, quatrième opus du Ring.

Opéra

Le Crépuscule des dieux

Disque 1 Face A : Qu'un bûcher s'élève là-bas Final 1

Richard Wagner (1813-1883), compositeur

1929

2 disques : 78 tours, aiguille, 30 cm
BnF, département Audiovisuel, NCOdeon123634-123635(V1_2)

© Bibliothèque nationale de France

Leitmotiv et tuba « wagnériens »

Les musiques de film de fantasy doivent aussi beaucoup au compositeur allemand, et notamment au concept du leitmotiv qu’il popularise avec L’Anneau du Nibelung, où chaque personnage majeur est associé à un thème. John Williams, pour la bande originale de Star Wars, mais aussi Howard Shore, pour celle de l’adaptation cinématographique du Seigneur des Anneaux, font ainsi une grande utilisation de cette technique, au point parfois que les œuvres auxquelles ils ont participé peuvent s’apparenter à des opéras. Shore a d’ailleurs directement cité Le Crépuscule des dieux à la fin de sa composition pour Le Retour du Roi (dans le morceau « Days of the Ring »), comme si la trilogie de Peter Jackson devait s’achever sur un thème qui, déjà, clôturait le cycle de Wagner. Dernier emprunt au musicien allemand, l’utilisation, tant par Williams que par Shore, du tuba que celui-ci avait fait fabriqué spécialement pour l’interprétation du Ring. Ce tuba « wagnérien » possède un son plus sourd que le tuba classique afin d’évoquer un cor, instrument associé là encore, à travers La Chanson de Roland, à l’imagerie médiévaliste et aux grandes fresques épiques qui constituent l’un des matériaux favoris de la fantasy.

Classique, Musique de film

Days Of The Ring

Album : Lord Of The Rings: The Return Of The King (The Complete Recordings)

Artiste : Howard Shore

6 disques : 33 tours 30 cm + 1 brochure + 1 carte
BnF, département de l’Audiovisuel, SD 30-161496

© Warner music, 2018