Le metal et son imaginaire fantasy

Univers merveilleux et fantasmes guerriers

Dans le sillage du rock progressif, les premiers groupes de hard rock au début des années 1970 composent de longs morceaux inspirés de la fantasy, plongeant leur public dans un monde imaginaire médiéval. Celui-ci peut renvoyer à un voyage vers des univers merveilleux et magiques, comme celui de Tolkien, régulièrement évoqué dans des chansons telles que « Ramble On » de Led Zeppelin (1969), alors que le « trip » folk psychédélique de « Are You Sitting Comfortably ? » des Moody Blues (1969) entraîne le public dans une balade vers Avalon. Mais le hard rock s’inspire aussi de la facette épique de la fantasy, qui convient parfaitement au style musical, s’appuyant sur des sonorités toujours plus lourdes. Dans un contexte où la violence est de moins en moins acceptée dans le champ social, c’est dans ces mondes imaginaires que se projettent les fantasmes guerriers, notamment avec des groupes comme Manowar. Dans leur chanson « Black Wind, Fire and Steel » (1987), on peut entendre les paroles suivantes : « Forgé par les marteaux des géants du monde, je vois dans les ténèbres, je suis le maître suprême ».

Mise en scène inspirée de l’imagerie fantasy

La fantasy n’inspire pas seulement la musique des groupes de metal. Dans le sillage de l’idée wagnérienne d’art total, les musiciens font appel, pour mettre en image les pochettes de leurs disques, à des artistes issus du milieu de la fantasy. Ken Kelly, neveu de Frank Frazetta, réalise ainsi la couverture de l’album Rising (1976) du groupe Rainbow. De même, les membres de Manowar posent sur la pochette de Into Glory Ride (1983) grimés dans des costumes qui rappellent ceux du film Conan le barbare (1982), costumes qu’ils n’hésitent pas ensuite à porter sur scène. Car les performances publiques sont aussi l’occasion pour ces groupes de déployer une imagerie de fantasy, tant dans les habits que dans les décors. Cette volonté aboutit aussi à la réalisation de clips vidéo fortement inspirés par les jeux de rôle médiévaux fantastiques, comme celui de la chanson « Holy Diver » (1983) où l’on voit Ronnie James Dio, l’interprète du morceau, déguisé en guerrier, affronter des monstres dans une église en ruine – autant d’éléments qui rappelle une aventure de Donjons & Dragons.

C’est dans les années 1980 que la fantasy devient l’un des grands thèmes du hard rock, puis du metal. Les artistes qui ont grandi dans les années 1960 et 1970, à une époque où le merveilleux était un élément essentiel de la culture de la jeunesse, notamment dans les pays anglo-saxons, y voient une source légitime d’inspiration. Très rapidement, leurs compositions tendent à reproduire le schéma narratif des grandes œuvres du genre. Plutôt que d’évoquer la fantasy au détour d’une chanson ou d’un vers, comme c’était le cas avec Led Zeppelin, les artistes des années 1980 préfèrent raconter une histoire complète, à l’échelle des grands cycles épiques de la littérature merveilleuse contemporaine. Aussi vont-ils réaliser des albums-concept (ce que faisaient déjà certains compositeurs de rock progressif), où toutes les chansons d’un disque 33 tours sont liées entre elles pour narrer, en usant de leitmotivs wagnériens, un récit unique.

C’est le groupe allemand Helloween qui, avec Keeper of the Seven Keys : Part I (1987) et Part II (1988), est l’une des premières formations à tenter cette formule, rapidement suivie par les Britanniques d’Iron Maiden avec Seventh son of a seventh son (1988). Ce disque s’inspire en partie du Septième Fils (1987) d’Orson Scott Card, mais aussi de Moonchild (1917) de l’occultiste Aleister Crowley, deux romans de fantasy historique.

Le succès critique et commercial de cet album (qui arrive premier des ventes au Royaume-Uni) pousse rapidement d’autres formations à imiter leur idée. Très vite, des groupes de power metal, influencés par le jeu rapide d’Helloween, vont produire des disques construits sur une structure similaire, soit en imaginant un récit original, soit en s’inspirant directement d’une œuvre de fantasy : c’est le cas de Nightfall in Middle-Earth (1998) de Blind Guardian qui reprend des épisodes du Silmarillion de J.R.R. Tolkien. Certaines formations se spécialisent même dans l’album-concept, à l’instar des Italiens de Rhapsody of Fire, qui produisent cinq disques d’affilés, de 1997 à 2002, formant une fresque complète : La saga de l’Épée d’Émeraude. On peut y entendre des chansons comme « Dawn of Victory » où, reprenant les recettes des musiques de film de fantasy, le groupe ajoute des chœurs en latin pour donner à l’ensemble un aspect archaïsant et magique.

Rhapsody of Fire s’est adjoint pour plusieurs de leurs albums un orchestre symphonique, mais aussi l’acteur Christopher Lee (notamment en 2004 dans Symphony of Enchanted Lands II). Celui-ci acquiert au même moment une renommée mondiale en jouant le magicien Saroumane dans Le Seigneur des Anneaux de Peter Jackson. Au début du XXI^e siècle, le metal s’inscrit donc comme un élément à part entière de la création culturelle de fantasy.