Tolkien, un maître de la fantasy
Considéré comme l’un des plus grands auteurs de fantasy, J.R.R. Tolkien ne compte pourtant que peu d'œuvres publiées de son vivant. C’est avant tout son fils, Christopher, qui a permis la découverte de l’ensemble de ses créations.
Un succès presque inattendu
John Ronald Reuel Tolkien (1892-1973) domine aujourd’hui l’histoire de la fantasy en tant qu’auteur des trois volumes du Seigneur des Anneaux (1954-1955) et créateur d’un monde secondaire : la "Terre du Milieu", continent central d’Arda. Ce monde, l’auteur l’a avant tout créé pour faire "vivre" ses langues inventées, fournir un cadre aux langages qu’il avait d’abord conçus. Il l'a voulu le plus complet, le plus cohérent, le plus convaincant possible.
Pourtant, si ses premiers écrits, des poèmes consacrés au peuple des elfes, en lien direct avec son expérience de la guerre, remontent à 1916-1917, il faudra attendre vingt ans avant que sa première fiction soit publiée. Créé d'abord pour ses enfants, Le Hobbit (1937) rencontre un beau succès en Angleterre et aux Etats-Unis, si bien que son éditeur, Stanley Unwin (auquel succèdera son fils, Rayner Unwin), lui commande une suite où l’on retrouverait les sympathiques petits personnages.
L’affirmation d’une littérature adulte
À la fois soucieux de saisir cette chance et assez ennuyé du décalage entre son court roman et ce qui constitue pour lui l’essentiel de son œuvre, à savoir la mythologie poétique des elfes immortels, Tolkien fait le pari de réussir la synthèse entre les deux pans de son inspiration et de s’opposer à son assimilation à la littérature jeunesse. Ce sera avec Le Seigneur des Anneaux (1954-1955) qu’il affirme son génie.
Entre ces deux œuvres majeures, l’auteur n’a quasiment pas publié, son conte "Le Fermier Gilles de Ham" (1949) faisant exception, puisque la maison d’édition Allen & Unwin a décidé de le faire paraître seul, agrémenté d’illustrations de Pauline Baynes.
En outre, cette "suite" demandée par son éditeur n’en est pas vraiment une. Beaucoup plus longue et complexe, la trilogie du Seigneur des Anneaux ne s’adresse plus au même public. L’Anneau inoffensif du Hobbit devient un puissant symbole de la corruption du Mal, l’aller-retour du personnage principal se complique de multiples ramifications et d’autant de personnages qu’on suit alternativement. La réflexion sur l’avidité, la tentation du pouvoir, se diffracte en un ensemble infiniment moins "manichéen" qu’on ne le dit trop souvent.
Le Seigneur des Anneaux est d’ailleurs susceptible de lectures nombreuses et très variées qui attestent de cette ouverture herméneutique. Reçu comme une allégorie du conflit au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, manifeste pacifiste et écologiste quand il devient un phénomène culturel aux États-Unis dans les années 1960, c’est également un texte empreint de catholicisme, conçu par Tolkien comme un nouvel Évangile, un récit de la façon dont la Lumière, quand tout semblait perdu, réussit à vaincre les ténèbres dans un ultime retournement, "l’eu-catastrophe".
Un monde derrière les livres
Occupé par sa carrière universitaire et sa vie familiale, Tolkien ne publie plus de textes concernant la Terre du Milieu avant sa mort. Il travaille à mettre en forme l’énorme matière accumulée tout au long de sa vie : poèmes, mythes et histoires du monde d’Arda, depuis sa création par la musique des Ainur, jusqu’au piège des Anneaux tendu par Sauron aux races elfes, naines et humaines, refugiées des millénaires plus tard en Terre du Milieu.
Ces travaux, qu’on appelle le Légendaire tolkienien, vont paraître grâce au travail inépuisable du troisième fils de Tolkien, Christopher. En 1977 paraît Le Silmarillion, synthèse du Légendaire dans un ouvrage unique, puis les douze volumes de L’Histoire de la Terre du Milieu (1983-1996), recueils d’états successifs des textes et de brouillons inédits en cours de traduction en France, et enfin de nouvelles histoires remises en forme, comme Les Enfants de Húrin en 2007.
Ainsi le public a progressivement pris connaissance de l’impressionnant travail de Tolkien, les textes posthumes venant enrichir le "monde secondaire" qui en acquiert une consistance exceptionnelle. L’excellence qu’on reconnaît le plus unanimement à Tolkien tient à cette capacité de créateur d’univers, et au sentiment de complétude cohérente qui s’en dégage. C’est dans cette lignée largement inaugurée par Tolkien que la fantasy s’est imposée comme le genre contemporain voué à la découverte de mondes imaginaires, que les lecteurs, joueurs, spectateurs, sont invités à investir.