Héritage chrétien et sources d'inspiration bibliques
Si la fantasy française s’appuie peu sur les textes monothéistes, une grande inspiration biblique marque et nourrit les récits anglophones, par des motifs, une esthétique, et de fortes valeurs morales.
Le développement du protestantisme et de l’anglicanisme dès le XVIe siècle, en Europe et aux États-Unis, invite les croyants à une lecture précise et personnelle des textes bibliques, qui transparaît dans la culture anglophone. Les résurgences chrétiennes dans la fantasy anglo-saxonne sont alors nombreuses, bien que parfois discrètes.
Un héritage chrétien omniprésent
Les Chroniques de Narnia (1950-56) de C.S. Lewis sont ainsi construites sur un riche arrière-plan biblique, dans une opposition traditionnelle du Bien (incarné par Aslan, image du Christ) et du Mal (la Sorcière blanche, cherchant à corrompre les humains). Les œuvres de "high fantasy", marquées par une forte portée morale, comportent bien souvent une lecture catholique ou protestante. Tolkien, qui traduit notamment le Livre de Jonas dans la Bible de Jérusalem, reprend lui aussi certains éléments bibliques dans son histoire de la Terre du Milieu. Ces lectures de la fantasy au prisme de la Bible invitent généralement à une réflexion sur le Bien, le Mal, la mortalité et les principales valeurs humaines, plus qu’à une contemplation de la foi en elle-même. La Bible est surtout employée par les auteurs pour la profondeur spirituelle qu’elle peut apporter à l’intrigue, ainsi que pour sa portée morale et esthétique.
Certains auteurs cherchent à s’opposer à cette influence, avec des œuvres qui détournent voire dénoncent l’héritage chrétien, comme c’est le cas pour À la Croisée des Mondes (1995) de Philip Pullman. Tout en s’émancipant de l’ombre de la Bible dans leur narration et les enjeux soulevés, ces textes restent construits en regard d’une certaine interprétation institutionnalisée de la foi, si bien qu’ils ne rompent jamais entièrement avec l’arrière-plan chrétien. De même, les œuvres de fantasy qui prennent pour cadre le Moyen Âge (réinterprété ou non) ne peuvent jamais tout à fait se défaire du christianisme, qui imprègne si profondément la société médiévale occidentale. Si la Bible ne constitue pas toujours une référence directe, le christianisme est donc souvent présent en toile de fond des récits de fantasy, de façon réaliste ou réinventé, à partir de ses grandeurs – construction de cathédrales, etc. – ou de ses dérives – Inquisition, chasse aux sorcières, etc.
Quand Moïse s’invite dans Warcraft
La Bible inspire les auteurs à travers des motifs et des épisodes métaphoriques, régulièrement repris et réinterprétés par la fantasy. De nombreux récits font apparaître des figures messianiques, à travers des héros revenus d’entre les morts pour sauver le monde. D’autres sont inspirés de prophètes ou de figures majeures de l’Ancien Testament, comme le personnage de Thrall dans l’univers de Warcraft, rappelant Moïse. Le motif de la Chute, éloignant les personnages d’un paradis perdu, constitue également un élément traditionnel du genre, tout comme les images de l’Apocalypse et du Jugement dernier, qui annoncent tour à tour la fin du monde et la promesse d’une vie après la mort. Certaines reliques connaissent une pérennité littéraire majeure, en devenant des objets de quête parfois déchristianisés, comme le Saint Graal ou la lance de Longin. La Bible elle-même devient un trésor ou un indice, aux côtés de divers textes sacrés à valeur prophétique.
Genèse et Apocalypse
Les livres bibliques privilégiés sont ceux de la Genèse et de l’Apocalypse, le début et la fin, qui guident fréquemment la fantasy dans les récits de création et de destruction – prophétique ou avérée – des mondes. Les auteurs proposent une réappropriation du matériau religieux, en confrontant des personnages "ordinaires" à des figures issues de la Bible ou de textes apocryphes. Les séries Supernatural (The WB puis The CW, 2005-) et Lucifer (Fox puis Netflix, 2016-2019) font ainsi apparaître des luttes régulières entre des anges et des démons bien identifiés, parmi d’autres créatures tirées de bestiaires variés. Ces êtres apparaissent tantôt comme des figures allégoriques, tantôt comme des personnages à part entière.
La lecture biblique est modernisée et fréquemment confrontée à d’autres croyances et à des êtres qui oscillent entre mythe, folklore populaire et religion. De même, American Gods (2001) de Neil Gaiman s’appuie sur de nombreux textes sacrés ou mythologiques, mettant en scène la Reine de Saba et Jésus, face à des divinités nordiques et égyptiennes comme Odin et Thoth.