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Les jeux vidéo, toujours plus loin dans l'immersion

Par Anne Besson

L’industrie des jeux vidéo s’est développée en construisant un lien fort avec la fantasy, poussant encore plus loin la possibilité de “plonger” dans ces mondes imaginaires et de vivre l'aventure en réseau à la place des héros.

Le jeu vidéo, première industrie culturelle au monde fédérant un large public de passionnés de tous âges, constitue aujourd’hui le vecteur de diffusion privilégié de l’imaginaire de fantasy, héritant des transformations qu’il a auparavant connues dans la fantasy littéraire et le jeu de rôle papier.

La fantasy dans les jeux vidéo

La répartition des jeux vidéo en "genres" ne suit pas le modèle des genres littéraires ou cinématographiques, pour adopter plutôt un type de classement basé sur les actions de jeu : jeu de tir, jeu de plateforme, jeu de simulation, stratégie, sport, action, énigme… Les ambiances, elles, relèvent davantage du background (l’arrière-plan, le cadre narratif) que du gameplay (le système de jeu, la façon dont se traduisent les règles codées dans l’expérience du joueur) : c’est à ce niveau qu’interviennent les catégories génériques comme fantasy, thriller, horreur… et celles-ci viennent se superposer aux précédentes.

 

Ainsi La Légende de Zelda (Nintendo) est-elle pour certains épisodes apparentée au jeu de plateforme et de manière générale à un "jeu d’action-aventure" à thème fantasy. Le premier épisode de la série, en 1986, a été révolutionnaire par sa nouvelle forme de "sauvegarde" de la partie en cours et son nouveau point de vue surplombant. La saga compte 19 épisodes principaux (jusqu’à Breath of the Wild en 2017), qui permettent de reconstituer une chronologie autour de la quête de Link, le héros récurrent : comment le jeune elfe va-t-il une fois encore, au bout de son parcours, rassembler les fragments de la Triforce, sauver la princesse Zelda et /ou le monde d’Hyrule des menaces du maléfique Ganon ?

La légende de Zelda, Breath of the Wild, Key Art (2017) Nintendo

Les évolutions techniques rapides (capacités de stockage, évolution des cartes graphiques, qui permettent de générer les images 3D de grande qualité qu’on connaît aujourd’hui, nouveaux types d’hébergement en ligne) ont considérablement amélioré la rapidité, la fluidité, l’immersion, l’interactivité entre joueurs connectés, donnant ainsi accès à de nouveaux gameplays. Les genres vidéoludiques se transforment donc très rapidement. 

 

La fantasy pourtant y occupe toujours une bonne place, parce qu’elle fournit un ensemble de références "prêtes à l’emploi", suffisamment familières à tous pour être activées spontanément, des types de personnages aux compétences claires, et surtout, un monde d’aventures et de magie. Le jeu vidéo s’impose en effet comme le média le plus apte à simuler de manière satisfaisante l’action magique, avec des personnages spécialisés (sorciers, mages, druides) et des jauges dédiées, indiquant puissance et énergie, souvent sous le nom de “Mana”, emprunté au surnaturel mythique (ainsi l’énergie magique à disposition dans Magic, Zelda, Diablo, World of Warcraft…).

Sorcier voleur de sorts, Might & Magic, Duel of Champions (2012) Ubisoft
Djinn, Might & Magic, Duel of Champions (2012) Ubisoft

Une histoire qui débute dans les années 1970

Si les premiers jeux d’arcade sont davantage dominés par une esthétique de science-fiction (vaisseaux, aliens), plus compatible avec les gros pixels, la fantasy s’impose dès l’origine des jeux vidéo de type RPG (Role playing game, ou jeu de rôle). Elle fournit notamment le cadre de la fiction interactive ou jeu d’aventure à base textuelle Colossal Cave Adventure, conçu par un informaticien de l’Arpanet des origines (l’ancêtre d’Internet), Will Crowther, puis développé par Don Woods, du laboratoire d’intelligence artificielle de Stanford sous le nom d’Adventure, à partir de 1976.

Colossal Cave Adventure, jeu d’aventure à base textuelle crée par William Crowther (1976) William Crowther

Les jeux de rôle vidéo textuels, comme le fameux Zork à partir de 1979 deviendront les proto-formes de jeux en réseau, les MUD (Multi Users Dungeons) dont on peut suivre le développement jusqu’aux MMORPG (Massive Multiplayer Online RPG) comme World of Warcraft. Tous retrouvent, à distance et derrière l’écran, une interaction collective, celle des Jeux de Rôle sur table, souvent perdue dans l’intervalle par la pratique individuelle du jeu vidéo, mais qui apparaît comme une dimension consubstantielle aux usages de la fantasy. Bard’s Tale, à partir de 1985, popularise le dungeon crawling, modalité de jeu où l’on se déplace dans un lieu fermé labyrinthique selon un schéma dit "porte-monstre-trésor".

 

Adventure est ensuite devenu, en 1979 et grâce à Warren Robinett, le premier jeu d’aventure graphique, modélisant le déplacement dans l’espace selon les conventions cinématiques, suivi par King’s Quest de Roberta Williams, qui lance en 1984 la compagnie Sierra On-Line et introduit un humour caractéristique. Si le rendu visuel, en progrès avec la multiplication des couleurs, est encore rudimentaire à l’époque, un jeu se distingue de ce point de vue : Dragon’s Lair. Proposé dans les salles d’arcade américaines à partir de 1983, c’est un véritable dessin animé interactif, grâce à la participation de Don Bluth, maître du cinéma d’animation. Dans un style très différent, contemplatif et énigmatique, Myst, en 1993, contribuera à mettre l’exploration d’un monde au cœur des objectifs ludiques.

 

De nombreux grands titres de RPG fantasy donnent naissance à des franchises très pérennes, comme Wizardry, Ultima ou Might and Magic. Sans doute la série de jeux la plus célèbre où figure le mot "fantasy", Final fantasy, s’éloigne de son côté davantage des codes habituels du genre, pour proposer, dans ses épisodes largement indépendants, des environnements syncrétiques et variés empruntant aussi beaucoup à la science-fiction.

Final Fantasy VII, Key Art (1997) Square Enix

C’est davantage la série dérivée Mana qui s’inscrit, elle, pleinement dans un monde fantasy. Le RPG continue d’être un genre majeur pour les jeux de fantasy, avec les Neverwinter Nights et Baldur’s Gate qui reprennent d’ailleurs leurs riches environnements et scénarios aux Royaumes oubliés (jeu de rôle Donjons & Dragons et série de romans), ou les belles séries Dragon Age et The Elder Scrolls, à monde ouvert.

 

Portés par les progrès importants de l'imagerie numérique, de multiples jeux se distinguent par leur esthétique grandiose, puisant dans les différents sous-genres de la fantasy, comme par exemple Dark Souls (2011, Bandaï Namco) et son univers particulièrement sombre et mystérieux.

La série des Warcraft (à partir de 1994 avec Orcs and Humans) s’impose cette fois pour les jeux dits de "stratégie en temps réel", où l’on s’occupe de la gestion des ressources d’un territoire en plus d’y combattre. Ces derniers ont pris une grande place dans nos habitudes ludiques avec le développement du "casual gaming" : petits jeux sur Facebook ou smartphone, qui visent le grand public en ne demandant ni investissement ni compétences particulières.

Quand les joueurs se déconnectent, le monde continue de tourner, leurs rivaux éventuels de progresser ; l’impression de réalité parallèle est accentuée.

Des univers persistants

Les environnements numériques ont également permis l’apparition de nouvelles formes de mondes merveilleux. Les "univers persistants" des MMORPG, très immersifs, ont révolutionné le monde des jeux vidéo dans les années 2000, y introduisant de nouveaux acteurs parmi les studios de développement, de nouvelles pratiques chez les joueurs (l’importance des relations sociales au sein de communautés) ou encore de nouveaux modèles économiques (l’abonnement puis les achats intégrés). Un peu comme dans le cas des JdR papier avec Donjons et Dragons, mais à des échelles sans commune mesure, un jeu, World of Warcraft (WoW, Blizzard Entertainment), a dominé très largement le domaine, dont l’appréhension se confond plus largement avec des univers medfan : EverQuest (Sony Online Entertainment), Dark Age of Camelot (Mythic Entertainment), Ultima Online ou Lord of the Rings Online (LOTRO), ou The Elder Scrolls Online (Bethesda Studio).

The Elder Scrolls Online, capture d'écran du teaser (2019) Bethesda Softworks, LLC

La promesse la plus forte des MMORPG est celle d’un usage du monde numérique partagé et pérenne – le jeu n’est pas à disposition, activé seulement quand l’utilisateur allume son PC ou sa console ; il est un monde peuplé, en mouvement perpétuel, où les joueurs-abonnés, le plus souvent réunis en "guildes", importent leurs avatars pour le temps de leur connexion. Quand ils se déconnectent, le monde continue de tourner, leurs rivaux éventuels de progresser ; l’impression de réalité parallèle est accentuée, ainsi que la tentation de rester en jeu ! Ainsi Azeroth dans WoW simule un "monde" en expansion au fil des "extensions" successives, avec sa faune, sa flore, ses peuples, ses métiers, ses lieux…

Bataille de Dazaralor, World of Warcraft, Battle for Azeroth (2018) Blizzard Entertainment

Le combat prend à nouveau le dessus sur l’exploration dans les MOBA (Multiplayer Online Battle Arena), jeu multijoueur de combat en arène dont le précurseur Defense of the Ancients était un dérivé de Warcraft III et dont le titre emblématique est League of Legends (Riot Games, à partir de 2009). Ses parties, où s’affrontent deux équipes de Champions aux caractéristiques diversifiées pour la conquête du terrain adverse, ont donné naissance aux compétitions de e-sports les plus suivies dans le monde, notamment en Corée du sud et en Chine.

Quand la magie se mêle à notre monde ...

Enfin, les jeux en réalité augmentée, comme Pokémon Go ou Wizards Unite, s’appuient sur des univers fameux (Pokémon ou Harry Potter) et proposent de mêler leurs attributs merveilleux à notre cadre quotidien en organisant un jeu de piste géolocalisé : la magie semble dès lors réellement présente à nos côtés.

interview

Fantasy et jeux vidéo

Alexis Blanchet nous parle des jeux vidéo dans l'univers de la fantasy.
conférence spécialistes

Le Royaume d'Istyald

Anato Finnstark est amoureux de la fantasy depuis ses 10 ans, alors que Florent Maurin n’y connaissait pas grand-chose avant de commencer à travailler sur le sujet pour la BnF. Ensemble, ils racontent l’élaboration du jeu Le Royaume d’Istyald, en compagnie d'Andréa Perugini qui a composé les musiques du jeu.

Par Florent Maurin, game designer, Anato Finnstark, creative illustrator, et Andréa Perugini, compositeur et sound designer.