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La fantasy s’anime sur grand écran

Par Anne Besson

Au gré des évolutions technologiques, le cinéma offre une mise en scène toujours plus inventive des décors et personnages de fantasy, allant jusqu’à leur donner une forme d’existence en trois dimensions.

Le lien entre illusion et émerveillement remonte aux origines du septième art, avec George Méliès, magicien et maître des effets spéciaux. Mais les films de fantasy doivent sans cesse réinventer leurs dispositifs technologiques pour parvenir à offrir à leurs spectateurs une expérience visuelle convaincante.

"L’animation se prête parfaitement à la représentation du merveilleux, car elle bénéficie d’une liberté que n’autorisent pas les prises de vue réelles."

Les films d'animation

L’animation, à partir de dessins classiques ou numériques, se prête parfaitement à la représentation du merveilleux, car elle bénéficie d’une liberté que n’autorisent pas les prises de vue réelles. Ces films s’adressent majoritairement au jeune public, également féru de merveilleux. Ainsi, les studios Disney, qui tiennent une place décisive depuis les années 1950 dans les représentations que se construit le jeune public, ont-ils adapté de nombreux contes traditionnels, mais aussi des ouvrages fondateurs de la fantasy pour enfants : Alice au pays des merveilles (1951), Peter Pan (1953), Mary Poppins, qui mêle prises de vue réelles et animation (1964) et, sur un versant plus médiéval, Merlin l’Enchanteur (1963, d’après T.H. White) ou Taram et le chaudron magique (1985), d’après les Chroniques de Prydain de Lloyd Alexander.

Taram et le chaudron magique, film d’animation de Ted Berman et Richard Rich, inspiré des « Chroniques de Prydain » de Lloyd Chudley Alexander (1985) Walt Disney Productions

Des expérimentations esthétiques sont tentées dès la fin des années 1970, avec plus ou moins de succès : Ralph Bakshi, réalisateur des Sorciers de la guerre en 1977, doit abandonner son adaptation du Seigneur des Anneaux, et sa technique du rotoscope, après un seul épisode en 1978. The Dark Crystal de Jim Henson, film de marionnettes appuyé sur une très belle équipe artistique (Brian et Wendy Froud), devient culte malgré son relatif échec commercial à sa sortie en 1982.


Si la série parodique Shrek, qui relève de la fairy tale fantasy (Dreamworks, à partir de 2001), a constitué un gros succès d’animation numérique au tournant du XXIe siècle, les techniques d’animation classiques continuent à imposer largement leur poésie. On peut évoquer l’animation image par image de Henry Selick dans les films de dark fantasy L’étrange Noël de M. Jack (Tim Burton, 1993) ou Coraline, adapté de Neil Gaiman (2009). Des réussites françaises sont également à noter, comme celle de Michel Ocelot avec ses fameux Kirikou (à partir de 1998), contes africains pleins de magie et de malice, ou encore Princes et princesses (2000) ou Contes de la nuit (2011), en papier découpé animé à la façon du théâtre d’ombres.

 

Et bien sûr, le continent merveilleux de l’animation japonaise est dominé par les créations d’Hayao Miyazaki au sein du studio Ghibli, nourries de mythes et légendes (Princesse Mononoké, 1997, Le Voyage de Chihiro, 2001, Ponyo sur la falaise, 2008, ou encore Le Château ambulant, adapté en 2004 du Château de Hurle de Diana Wynne-Jones). Son collègue Isao Takahata s’est aussi penché sur la vie des kami et autres yôkai de la tradition légendaire shintoïste, quand son fils, Gorō Miyazaki, proposait avec les Contes de Terremer (2006) une adaptation des œuvres de fantasy d’Ursula Le Guin.

L’Étrange Noël de Monsieur Jack, film d’animation d’Henry Selick d’après un scénario de Tim Burton, Caroline Thompson et Michael McDowell (1993) Touchstone Pictures, Skellington Productions, Tim Burton Productions
Les Contes de Terremer, film d’animation de Goro Miyazaki d'après l'œuvre d'Ursula K. Le Guin (2006) Studio Ghibli

Des films qui s'adressent au jeune public

C’est encore le jeune public qui est visé par une bonne part de la production en images réelles, souvent adaptée de romans de fantasy jeunesse, comme Bandits, bandits de Terry Gilliam (1981), L’Histoire sans fin de Wolfgang Petersen d’après Michael Ende (1984), ou Willow (Ron Howard, 1988), qui vise un public familial avec son histoire de nains recueillant un bébé humain. On n’est pas si loin de ce que moque un grand film parodique, l’hilarant The Princess Bride de Rob Reiner (1987), d’après William Goldman !

L’Histoire sans fin, film de Wolfgang Petersen d'après l'œuvre de Michael Ende (1984) Neue Constantin Film

Les adaptations de Harry Potter à partir de 2001 ont été de grandes réussites mettant en lumière les nouvelles dynamiques de synergie médiatique à l’œuvre dans la fantasy jeunesse. Mais parmi tous les films qui se sont engouffrés dans cette brèche, peu ont rencontré leur public : c’est le cas des adaptations des Chroniques de Narnia de C.S. Lewis, (Disney, à partir de 2005), stoppées après trois épisodes en raison de résultats économiques décevants, comme la trilogie Arthur et les Minimoys, romans et films de Luc Besson, dont le seul premier volet, en 2006, a cependant remporté un vrai succès. D’autres films ont essuyé des échecs cuisants alors qu’ils étaient pourtant portés par un budget conséquent et/ou un succès préalable de l’œuvre adaptée : Eragon, d’après Christopher Paolini (par Stefen Fangmeier, 2006), Cœur d'encre, d’après le best seller de l’Allemande Cornelia Funke (par Iain Softley, 2008), La Boussole d’Or, d’après Pullman, énorme "accident industriel" pour New Line productions (par Chris Weitz, 2007), ou encore Le dernier maître de l’air, d’après une série d’animation (par M. Night Shyamalan, 2010).

Le Monde de Narnia : Le Lion, la Sorcière blanche et l’Armoire Magique, film d’Andrew Adamson d'après l'œuvre de C.S. Lewis (2005) Walden Media - Walt Disney Pictures

Des techniques en constante évolution

Le cinéma de fantasy a donné une traduction visuelle à tous les sous-genres de la fantasy, et souvent permis, grâce à sa grande popularité, leur découverte par un large public. Le merveilleux oriental inspiré des 1001 nuits a durablement inspiré les cinéastes, notamment dans les années 1920 (Le Voleur de Bagdad de Raoul Walsh, avec la star du muet Douglas Fairbanks), et encore dans les décennies 1940 et 1950 alors qu’il était délaissé sur le versant littéraire. Le genre a alors bénéficié de la technique d’animation image par image de miniatures intégrées à des prises de vue réelles, pour les combats contre les monstres, dans laquelle Ray Harryhausen était passé maître, par exemple dans Le Septième voyage de Sinbad (1958) et dans de nombreux peplums (genre proche de la fantasy). Il perdure, de plus en plus "kitsch", jusque dans les années 1970.

Le Voleur de Bagdad, film de Ludwig Berger, Michael Powell, et Tim Whelan (1940) United Artists Corporation

La décennie suivante a vu se multiplier les films de sword and sorcery. Après Excalibur, de John Boorman (1981), vision de la légende arthurienne inspirée de Malory aux couleurs tranchées, vient le succès du premier Conan (John Milius, 1982), très éloigné d’Howard mais rempli de scènes et répliques mémorables. Ladyhawke, conte médiéval d’amants enchantés (Richard Donner, 1984), Legend, de Ridley Scott (1985), ou encore Cœur de dragon, de Rob Cohen (1996), à l’heure du premier développement des trucages numériques, montrent, en dépit de leurs qualités respectives, que le merveilleux de fantasy a tendance à mal vieillir à l’image. Plus loin du "cœur du genre", la trilogie Star Wars (à partir de 1977) se laisse toujours revoir avec autant d’émerveillement, mais George Lucas a tenu à "remasteriser" ses films avec les nouvelles techniques numériques à sa disposition.

Le tournant des effets spéciaux

Peter Jackson a quant à lui attendu de disposer des outils nécessaires à la concrétisation de sa vision du livre – motion capture et incrustation sur fond vert notamment – pour se lancer dans la trilogie du Seigneur des anneaux (2001-2003), adaptation de l’inépuisable œuvre de Tolkien. Ce succès "phénomène", battant tous les records d’entrée et couronné d’Oscars, qui en parallèle des Harry Potter a durablement relancé le cinéma de fantasy, s’appuie également sur les paysages naturels de Nouvelle-Zélande. La fantasy hérite de ce point de vue du western, une célébration visuelle des grands espaces, sauvages et ouverts.

Dix ans plus tard, la trilogie du Hobbit (2012-2014), ou encore le film Warcraft : le commencement (Duncan Jones, 2016), reprennent les mêmes partis-pris esthétiques en faisant à nouveau évoluer la technique. Les cinématographies populaires asiatiques (en particulier chinoise et indienne) qui ne sont largement diffusées sur les écrans occidentaux que depuis le début du XXIe siècle, viennent pour leur part élargir les possibles de représentation du merveilleux, en mêlant par exemple les codes du surnaturel et les chorégraphies d’arts martiaux, dans Tigre et Dragon (Ang Lee, 2000), ou la série des Détective Dee (Tsui Hark).


La technologie 3D, à la fin des années 2000, a provoqué à son tour un afflux de projets, privilégiant les genres de l’imaginaire qui peuvent tirer au mieux parti de cette forme nouvelle d’illusion. Avatar de James Cameron (2009), premier grand succès de ce type, célèbre d’ailleurs la magie de l’immersion : l’accès à la planète Pandora et sa mystique de connexion naturelle dont la 3D a permis un rendu visuel magnifique, n’est en effet accessible au héros paralytique, Jake, qu’à travers un caisson d’immersion technologique qui le projette dans la peau d’un Na’vi de trois mètres.

Avatar, film de James Cameron (2009) 20th Century Fox, Dune Entertainment, Giant Studios, Ingenious Film Partners, Lightstorm Entertainment

De son côté, Tim Burton "adapte" Alice au pays des merveilles (2010) en 3D, introduisant dans l’univers de Lewis Carroll (ou de son illustrateur John Tenniel), des innovations tirées à la fois de ses signatures visuelles singulières et des codes à succès imposés par Peter Jackson : Alice rejoint les nombreuses jeunes femmes en robe bleue de Burton et devient plus tard une guerrière en armure d’argent, combattant un dragon dans un décor de tour blanche écroulée qui cite de très près les ruines d’Osgiliath.

Alice au Pays des Merveilles, film de Tim Burton d'après l'œuvre de Lewis Carroll (2010) Walt Disney Pictures, Roth Films
interview

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Par William Blanc, historien.