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De l’aristocratie aux cours d’école, une brève histoire du conte

Par Anne Besson

Issu de la transmission de récits oraux, le conte littéraire est apparu il y a un peu plus de trois siècles. D’abord destiné aux adultes, il a progressivement évolué pour devenir un genre majeur de la littérature jeunesse.

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1697
Apparition des premiers contes écrits, alors destinés aux adultes et aristocrates, avec Charles Perrault et ses Contes de ma Mère L’Oye.

Une vogue littéraire à la fin du XVIIe siècle 

L’histoire du conte, bien avant la naissance de la fantasy, est déjà l’histoire de constantes redécouvertes. Caractéristique des cultures orales, il figurait sans doute parmi les premiers récits de l’humanité, aux côtés des mythes et des épopées, dont il constitue le versant populaire, adressant à un large public ses histoires divertissantes ou effrayantes et ses leçons morales.

 

Or ses premières apparitions écrites en font un genre pleinement littéraire. Charles Perrault avec Les Contes de ma Mère L’Oye (1697), où figurent "Le petit chaperon rouge", "Le petit poucet", "Cendrillon" ou encore "Le chat botté", pose certes l’image très forte et toujours présente de la vieille nourrice contant au coin du feu. Mais n’oublions pas que ces textes en vers et prose, au succès immense, sont l’œuvre d’un auteur classique du siècle de Louis XIV, qui signe également des odes et des portraits de puissants adressés à un public d’adultes et d’aristocrates, très travaillés dans son style comme dans ses moralités.

Cendrillon et la fée, Edmund Dulac's Picture-book for the French Red Cross (1915) Adagp, Paris 2020

Au même moment, une génération de conteuses, comme Marie-Jeanne L’Héritier, Henriette-Julie de Murat, Charlotte-Rose de Caumont La Force, ou surtout Marie-Catherine d’Aulnoy, pionnière avec son conte l’Île de la Félicité (1690) et autrice des Contes nouveaux ou Les fées à la mode (1697-1698), s’emparent de cette forme qui reste durablement associée à un pouvoir féminin du récit. Elles non plus ne s’adressent pas aux enfants, mais à leurs pairs, lecteurs mondains et femmes savantes, glissant des messages grivois pas franchement dissimulés dans "La chatte blanche" ou "Le serpentin vert", histoires d’amour et de métamorphoses animales.

Le conte se réinvente au XVIIIe siècle

Ces premiers contes écrits, littéraires et destinés aux adultes, forment une masse impressionnante, dont rendent compte les 41 volumes compilés par le Chevalier de Mayer sous le titre Le Cabinet des fées ente 1785 et 1789. On y repère une normalisation en cours du genre, avec l’éviction de la veine libertine. Dans le courant de ce siècle, le conte commence à se tourner vers le public enfantin, qui émerge alors et ne cessera de prendre de l’importance. L’aspect moral de ce genre se prête parfaitement aux nouvelles préoccupations éducatives et la valorisation de la raison par la philosophie française des encyclopédistes tend à ce que le merveilleux s’associe à l’enfance, à une obscurité de l'ignorance qui précède l'âge adulte et ses "lumières".

 

C’est ainsi que La Belle et la Bête, né sous la plume de Gabrielle-Suzanne de Villeneuve en 1740, connaît le succès sous une forme abrégée pour enfants, celle de l’institutrice Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, qui fait paraître sa version en 1757 dans Le Magasin des enfants, ou Dialogue d'une sage gouvernante avec ses élèves.

La belle et la bête, peinture de John Dickson Batten et Joseph Edward Southall (1904) Photo de Birmingham Museums Trust, license CC0

À la recherche des racines populaires orales 

Dès la fin du XVIIIe siècle, dans un contexte de revalorisation des patrimoines culturels nationaux, une première génération de folkloristes affirme l'importance de la préservation des contes et se donne pour objectif de garder trace et d'étudier cet héritage. Les frères Grimm, en Allemagne, font ainsi paraître en 1812 Contes de l’enfance et du foyer, leur première collecte de contes populaires oraux, recueillis dans les campagnes.

 

On sait aujourd’hui que cette quête des formes populaires originelles était en partie biaisée, non seulement parce que l’élaboration littéraire n’est pas absente de leur œuvre, mais aussi parce qu’ils ont recueilli nombre de leurs contes auprès d’une famille d’origine française, exilée par la Révolution. Leur démarche sera suivie entre autres en Russie par Alexandre Afanassiev (huit volumes entre 1855 et 1867), et aujourd’hui encore on peut lire par exemple les contes et légendes des différentes régions de France.

 

Les cultures orales n’étant pas étanches aux influences extérieures, ce que l’on connaît des contes n'est jamais qu’une reconstruction qui porte forcément la trace de l'esprit de l'époque dans laquelle elle a été produite. Si la version "originelle", "primitive", est à jamais hors d’atteinte, du moins peut-on multiplier les variations.

La gardienne d’oie, The golden bird, and other stories,
écrit par les frères Grimm et illustré par Wuanita Smith (1922) Wuanita Smith/Droits Réservés