Beowulf, le poème médiéval fondateur de l’épique
Une histoire qui a plus de mille ans et qui raconte comment un héros triomphe d’une créature terrifiante et devient roi. Beowulf est une source d'inspiration épique pour la fantasy, et pour l’un de ses maîtres : J.R.R Tolkien.
Ultime héros
Beowulf, poème de plus de 3 000 vers, conservé dans un unique manuscrit copié aux alentours de l’an 1000, reste le seul exemple de geste épique complète rédigée en vieil anglais. Il narre les aventures du héros éponyme, se déroulant dans un passé mythifié, et ses combats face à la créature Grendel, puis contre sa mère, qu’il tue au fond d’une grotte où elle avait établi son antre. Ayant triomphé des monstres, Beowulf rentre dans son pays (sans doute localisé en Suède actuelle) et devient roi. Après de nombreuses années de règne, il meurt en affrontant un dragon qui menace ses terres, trépas qui marque la fin du temps des héros. Dès le Moyen Âge, le merveilleux est souvent situé dans un passé idéalisé et dans un ailleurs lointain.
La fascination de Tolkien
Longtemps oublié (la première traduction du poème, en latin, date du début du XIXe siècle), Beowulf va exercer une très grande influence sur J.R.R. Tolkien. Celui-ci, spécialiste de littérature médiévale et des langues anglo-saxonnes, est en effet un fin connaisseur du texte. Il lui consacre un long essai, Beowulf, le monstre et les critiques (édité en 1936) dans lequel il défend la valeur artistique du poème, dont il produira une traduction publiée de manière posthume en 2014.
Mais surtout, nombre d’épisodes et de personnages de ses romans s’en inspirent en droite ligne. Des scènes des Deux Tours, notamment l’arrivée dans le royaume des cavaliers du Rohan, semblent être directement tirées du texte médiéval. Pareillement, la confrontation des nains de Thorin et de Bilbo avec le dragon Smaug dans Le Hobbit doit sans doute beaucoup à celle dans laquelle Beowulf trouve la mort.
Dans son essai, Tolkien associe cette bataille à une lutte entre le Bien, représenté par le héros, et le Mal, incarné par le Monstre. Elle devient ainsi un lieu commun de la fantasy, celle du protagoniste faisant face à un danger hors du commun et dont la défaite magnifie par contraste la vertu de ses adversaires.
Cette vision guerrière et épique est au centre de nombre de productions associées au genre merveilleux, comme les jeux de rôle puis, par ricochet, les jeux vidéo. Ainsi, Donjons et Dragons (1974) est construit sur l’exploration d’une grotte (le "donjon") pour affronter un monstre (le "dragon"), comme Beowulf puis Le Hobbit.
Quand le méchant devient le héros...
Beowulf a inspiré également d’autres productions de fantasy. Le comic-book Beowulf Dragon Slayer (1975) mélange la trame du classique de la littérature anglaise médiévale Beowulf à une esthétique tirée de l’univers de Conan qui connaît à ce moment-là une forte popularité dans le 9e art américain. Pareillement, un film a été réalisé en 2007 sous la direction de Robert Zemeckis.
Mais la version contemporaine du mythe la plus intéressante reste sans conteste le roman Grendel (1971) de John Gardner qui raconte la légende du point de vue de l’antagoniste. Cette œuvre, adaptée en film d'animation sous le titre Grendel Grendel Grendel (1981) est l’une des premières de la fantasy à mettre au centre de son action le personnage monstrueux. Dans une société de plus en plus sécularisée, celui-ci n’est plus le symbole titanesque du Mal et du Péché. Il incarne au contraire un individu à part entière doté de motivations propres. L’inversion que propose John Gardner permet à la fantasy de sortir du carcan imposé par l’écriture épique pour devenir un genre qui explore des altérités, d’autres peuples, à un moment où l’ethnocentrisme occidental, bousculé par la décolonisation, cesse d’être la norme.