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La place des héroïnes, de beauté en danger à sorcière intrépide

Par Myriam White-Le Goff

Souvent inspirées de modèles littéraires plus anciens, les femmes dans la fantasy, peu considérées au départ, s’émancipent pour devenir peu à peu des héroïnes, et de redoutables combattantes.

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La fantasy et la littérature médiévale semblent peu intéressées par les femmes. Même si les choses changent aujourd’hui, beaucoup des premiers auteurs et lecteurs de fantasy étaient des hommes. Le genre comporte longtemps un souffle héroïque et des valeurs viriles : les femmes sont rarement sujets, mais plutôt objets à conquérir, protéger ou sauver. Pour le Moyen Âge, on imagine une société patriarcale et machiste. La femme hérite des modèles bibliques antithétiques d’Ève et de Marie, ainsi que de différentes charges mythiques païennes, qui lui confèrent une ambivalence profonde : elle peut incarner des puissances de chaos ou au contraire une civilisation épurée, elle peut être reine, dame lointaine, amoureuse ou fée…

 

Pourtant, les références aux femmes médiévales irriguent la fantasy. Chez Tolkien, les femmes elfes, comme Arwen ou Galadriel, sont descendantes des fées, mais aussi des grandes dames courtoises, comme Guenièvre ou Iseut. Elles personnifient l’absolu mais jouent aussi parfois un rôle de premier plan dans les intrigues, comme Lúthien Tinúviel dans le Silmarillion.

Lancelot enlevé par Viviane, la Dame du Lac, Lancelot-Graal : Lancelot du Lac, copié par Gilles Gracien, enluminé par l'Atelier d'Evrard d'Espinques (XIVe siècle) Bibliothèque nationale de France

La réinvention des fées

Un certain nombre de personnages féminins de premier plan sont héritières des fées médiévales. La Dame du Lac est essentielle dans le Cycle de Pendragon de Stephen Lawhead ou dans la Saga du Sorceleur d'Andrzej Sapkowski. Dans Les Brumes d’Avalon, Marion Zimmer Bradley s’appuie sur une constellation d’héritières puissantes de pouvoirs naturels, en dédoublant, retournant ou renouvelant ses modèles médiévaux. On recrée à partir d’un patrimoine imaginaire, en le mêlant avec des préoccupations plus contemporaines, comme la wicca, qui célèbre une déesse mère fondatrice, protectrice autant que menaçante. Cette néo-sorcellerie puise ses forces dans celles d’une nature magnifiée, où les fées trouvent aussi leurs origines, puisqu’elles héritent de figures mythologiques antiques, comme les muses, les sylves ou autres divinités de la nature. Cela n’empêche pas la fantasy urbaine, notamment, de les entraîner loin de leur territoire naturel, comme dans Le Paris de Merveilles de Pierre Pevel ou American Fays d’Anne Fakhouri et Xavier Dollo.

Bonnes ou menaçantes ?

Les fées médiévales se caractérisent par des qualités extrêmes de beauté et de savoir dont on ne sait exactement si elles émanent de Dieu ou du Diable. Elles ont été élaborées sous la double influence chrétienne et celtique. C’est pourquoi leurs descendantes en fantasy peuvent être qualifiées de "fées", mais aussi de "sorcières" ou de "magiciennes". D’ailleurs, il faut se méfier du sens des mots car les fées ne sont pas toutes bénéfiques, elles peuvent être inquiétantes, tandis que les sorcières, souvent effrayantes, peuvent s’avérer bienveillantes voire comiques. Il existe mille contrastes entre Viviane, Morgane ou Mélusine, au Moyen Âge, tout comme entre Polgara (David Eddings) ou la Crécerelle (Patrick Moran), par exemple, en fantasy. Les fées de fantasy superposent souvent les influences divergentes du Moyen Âge, du conte ou du folklore, comme dans Stardust de Neil Gaiman.

Raimondin découvrant le secret de Mélusine, Roman de Mélusine, écrit par Couldrette (XIVe siècle) Bibliothèque nationale de France
1997
Première apparition d’Hermione Granger, sorcière moderne.

Des jeunes filles sur le front des batailles

La puissance féminine s’exprime de manière presque virile, chez la femme guerrière, héritière des Amazones, dont on trouve de très beaux modèles au Moyen Âge, inspirés de l’Antiquité, comme l’incarne Daenerys Targaryen du Trône de Fer de George R.R. Martin. Chez Tolkien, Eowyn n’hésite pas à se travestir en homme pour accomplir le but qu’elle s’est fixé. Plus largement, des personnages féminins forts occupent des rôles d’adjuvants auprès des héros, comme Viviane au Moyen Âge ou Arya dans L’Héritage de Christopher Paolini. Certaines femmes indépendantes s’émancipent même totalement de la comparaison masculine, en particulier en fantasy urbaine.

 

Ce sont d’ailleurs souvent les plus jeunes filles qui prennent l’ampleur de véritables héroïnes, comme Lucy Pevensie dans les Chroniques de Narnia de C.S. Lewis, Lyra Belacqua dans La Croisée des mondes de Philip Pullman ou Hermione Granger dans Harry Potter de J.K. Rowling. Elles sont audacieuses et ont le goût du risque : d’elles dépend l’avenir de tous et elles s’avèrent seules capables de percevoir ce qui demeure caché aux héros masculins, même plus âgés. Les personnages féminins à la stature héroïque n’ont plus de limites.

Daenerys Targaryen, A Song of Ice and Fire Calendar, illustration de Magali Villeneuve (2016) Penguin Random House