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Shakespeare et la fantasy, une histoire de magie

Par Anne Besson

Si l’impact du dramaturge n’est plus à démontrer dans la littérature anglaise, il s’avère que de nombreux auteurs de fantasy revendiquent aujourd’hui un lien avec Shakespeare, quitte à le transformer en personnage de fiction.

Corps
1595
Date de création de la pièce Le Songe d’une nuit d’été

Shakespeare, source majeure pour les auteurs

Poète et dramaturge anglais, William Shakespeare (1564-1616), occupe une place incontestée au sommet des panthéons culturels occidentaux. Mais il représente également une influence importante pour le genre de la fantasy, à travers deux de ses pièces en particulier, écrites aux deux extrémités de sa carrière, à savoir Le Songe d’une nuit d’été (1595-96) et La Tempête (1610-1611). Elles marquent l’apogée d’une écriture souvent encline au surnaturel (les sorcières de Macbeth, les spectres d’Hamlet ou de Richard III…), qui célèbre constamment la porosité des rêves, du théâtre, de la magie et de la vie.

Deux comédies foncièrement magiques 

Le Songe d’une nuit d’été présente l’extravagante rencontre d’une Athènes de fantaisie où Thésée s’apprête à épouser Hippolyte, la reine des Amazones, et d’une forêt merveilleuse, domaine des elfes, où l’espace d’une nuit les couples se font et se défont. Quatre jeunes gens qui ont fui Athènes sont victimes des manigances de Puck le hobgoblin, tandis que la reine Titania, sous l’effet d’un sort, croit aimer un stupide artisan affublé d’une tête d’âne. Mais l’histoire se termine bien, dans un double spectacle présentant le ratage hilarant d’une représentation de Pyrame et Thisbé, auquel succède une danse de bénédiction des fées, qui ont le dernier mot.

Hermia, Lysandre, Héléna et Démétrius, Le songe d'une nuit d'été de William Shakespeare, illustré par Arthur Rackham (1909) Bibliothèque nationale de France

Ces personnages féeriques deviennent encore plus nombreux dans La Tempête. Ainsi, on y découvre Ariel, fantasque esprit de l’air, et le monstre Caliban, fils de la sorcière Sycorax, au service du magicien Prospéro, qui a soumis à sa puissance l’île où il a échoué dans son exil, après avoir été chassé de son duché de Milan. Souvent lue sous le prisme des questions coloniales, la pièce, plus ample et plus amère que Le Songe d’une nuit d’été, commence par un naufrage et raconte comment Prospero finira par pardonner à ses ennemis, notamment grâce à sa fille Miranda, tombée amoureuse du prince Ferdinand.

Miranda - The Tempest, de John William Waterhouse, d'après La Tempête de William Shakespeare (1916) Christie's Images/Bridgeman Images

Shakespeare et le monde de Faerie

Les œuvres de fantasy s’inspirant de Shakespeare se plaisent à postuler un lien privilégié entre le Barde et la Féerie, qu’il aurait directement côtoyée. Ainsi Neil Gaiman, qui y consacre deux sections de son comics Sandman (fascicules n°19, 1990 et n°75, 1996) imagine-t-il un pacte de création noué entre son héros Dream, roi du rêve, et le dramaturge anglais. Plus tôt, dès 1974 dans le roman Tempête d’une nuit d’été, Poul Anderson présente un monde alternatif où Shakespeare est le "Grand Historien", où toutes ses pièces sont réelles, et où l’aide magique des fées est requise pour lutter contre les prémisses de la révolution industrielle.

Sandman, Volume VII, de Neil Gaiman, illustré par Michael Zulli, Jon J. Muth, et Charles Vess (2016) TM & DC Comics. All Rights Reserved 2020

Dans "Songe d’un matin d’hiver", une aventure de Corto Maltese (Les Celtiques, Hugo Pratt, 1980), c’est cette fois la menace d’une invasion allemande de l’Angleterre qui éveille Obéron, Puck et Morgane à Stonehenge. Enfin, La Compagnie des fées (A Midsummer Nightmare) de Garry Kilworth (1996) raconte le voyage des elfes shakespeariens à travers l’Angleterre d’aujourd’hui et les hauts-lieux du mysticisme celte envahis de touristes.

 

Tout en cherchant à revenir aux sources du folklore, à retrouver un monde de féérie plus inquiétant parfois, plus authentique, ces œuvres sont autant d’hommages à la puissance créatrice de Shakespeare, indispensable relais dont le génie a su transmettre ces traditions jusqu’à nous.