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Focus Œuvre

Eddas et Sagas, huit siècles de mythes au service des auteurs

Par Laurent Di Filippo

Parmi les légendes du nord si présentes dans la fantasy contemporaine, Eddas et Sagas sont les deux genres de la mythologie nordique à avoir grandement influencé les écrivains actuels.

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1220
Année approximative de la rédaction de l'Edda de Snorri, œuvre majeure de la mythologie nordique.

Deux Eddas pour tout un monde

Les principales sources de la mythologie nordique sont des textes médiévaux islandais parmi lesquels se trouvent les deux Eddas et les Sagas islandaises. Mis par écrit bien après la christianisation de l'île, ils ne peuvent par conséquent constituer des traces directes des croyances pré-chrétiennes des peuples nordiques.


La première source, considérée comme la plus importante et la plus explicite, est l’Edda de Snorri ou Edda en Prose (XIIIe siècle). Ce texte, dont on attribue la compilation autour de 1220 au noble et érudit islandais Snorri Sturluson, rassemble de nombreux récits liés aux divinités et aux héros scandinaves. Toutefois, loin d’une visée religieuse, il constitue en réalité un manuel de poésie destiné à expliquer à la fois la matière et les formes poétiques aux jeunes poètes. La version originale de ce recueil a disparu, et il ne reste aujourd’hui que quatre manuscrits différents, dont les écrits plus tardifs servent de base aux éditions contemporaines. L’organisation des divinités sous forme de panthéon est principalement présente dans l’Edda en Prose.

Edda de Snorri, Eddukvæði (1764) Bibliothèque nationale islandaise
Edda poétique (Codex Regius), Eddukvæði - Sæmundar-Edda (1260-1280) Institut d'études islandaises Árni Magnússon

En second lieu vient l’Edda Poétique (XIIIe siècle), un recueil de poèmes dont un manuscrit fut retrouvé en 1643 par l’évêque Brynjólfur Sveinsson qui nomma ce recueil en référence à l’Edda de Snorri. L’Edda Poétique rassemble des poèmes en vieux norrois, langue scandinave médiévale, composés entre le IXe et le XIIIe siècle et dont les auteurs, restés inconnus, proviennent aussi bien de Norvège et du Groenland que d’Islande. Les récits qu’ils contiennent évoquent les dieux et les héros scandinaves dans des formes parfois cryptiques. Chez Tolkien, les trolls qui se changent en pierre à la lumière du soleil (Le Hobbit, 1937), sont un motif emprunté aux Alvíssmál, poème tiré de l’Edda Poétique. Dans ce dernier, le dieu Thor fait parler le nain Alviss durant une joute verbale jusqu'à ce que le soleil se lève et que celui-ci se change en pierre.

 

Enfin, les Sagas sont un ensemble de récits variés englobant différents genres de texte rédigés en prose. Le mot « saga » ou « sögur » au pluriel, est un terme générique utilisé pour désigner de multiples récits, qu’il s’agisse d’histoires légendaires de héros germaniques et scandinaves, de récits historiques, d’histoires de la vie de saints et d’évêques ou de traductions de textes continentaux.

Du récit historique au combat de dragon, l’impact des Sagas en fantasy

La fantasy a pour sa part essentiellement puisé dans les Sagas dites légendaires, qui contiennent le plus d’éléments fantastiques, mais qui sont aussi celles rédigées le plus tardivement. La Saga des Völsungar (XIIIe siècle), qui conte l'histoire de Sigurd, le tueur du dragon Fafnir, constitue sans doute l'un des récits les plus connus de ce type et qui a fait l’objet de nombreuses réécritures par des auteurs de fantasy, notamment au XIXe siècle et jusqu’à nos jours, sous la plume de William Morris ou encore Tolkien. Elle fut également mise à l'honneur par les rapprochements faits avec La Chanson des Nibelungen par les frères Grimm puis par Richard Wagner au XIXe siècle. Dans Le Seigneur des Anneaux (1954-1955), Narsil, l’épée brisée reforgée pour le roi Aragorn et rebaptisée Anduril, est un motif emprunté à la Saga des Völsungar. Dans ce récit, l’épée Gramr, plantée par Odin dans un arbre et destinée à celui qui pourra la retirer, va être brisée par le dieu lui-même durant une bataille, puis reforgée par Reginn pour Sigurd, afin qu’il puisse tuer le dragon Fafnir. L’écrivain Poul Anderson a quant à lui proposé une réécriture de la Saga de Hrolf Kraki (1973), qui raconte l’histoire des Skjoldung, une famille royale du Danemark dont Hrolf Kraki est le descendant.

Siegfried forgeant son épée, L'Anneau du Niebelungen de Richard Wagner, illustré par Franz Stassen (XXe siècle) Bibliothèque nationale de France
Siegfried enfonce son épée dans la gorge de Fafnir, Siegfried et le Crépuscule des dieux de Richard Wagner, illustré par Arthur Rackham (1911) Bibliothèque nationale de France