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Focus Œuvre

Alice au pays des merveilles, la naissance d'un genre

Par Anne Besson

Les aventures d’Alice au pays des merveilles ont ouvert la voie aux auteurs de fantasy jeunesse. La jeune héroïne a marqué les esprits avec ses histoires proches des comptines, évoquant la peur de grandir.

Corps

Une œuvre fondatrice

Lewis Carroll (1832-1898), pseudonyme du révérend Charles Lutwidge Dodgson, enseignant de mathématique et logique à Oxford, est l’auteur d’un diptyque majeur de la littérature pour la jeunesse anglaise, composé d’Alice au pays des merveilles (1865) et sa suite, De l’autre côté du miroir (1871). Fréquentant les membres du mouvement préraphaélite (notamment la famille Rossetti), Lewis Carroll a bien participé à la naissance du genre, même si on peut arguer que ses œuvres sont à la limite de la fantasy.

 

Alice quitte notre monde par le biais du terrier où elle suit le lapin blanc, ou en passant de l’autre côté du miroir. Elle rejoint un univers inspiré des chansons, poèmes et comptines du folklore enfantin anglais, les nursery rhymes (Humpty-Dumpty, les jumeaux Tweedledum et Tweedledee en sont par exemple issus). Les règles du jeu qui semblent s’appliquer, jeu de cartes dans le premier roman, jeu d’échecs dans le second, passent au filtre de l’absurde et du nonsense, humour fondé sur le détournement logique. Mais chaque fois Alice se réveille à la fin de ses aventures, et le procédé du rêve vient donc in fine rationaliser la merveille.

Aventures d'Alice au pays des merveilles, de Lewis Carroll,
illustré par Arthur Rackham (1908) Bibliothèque nationale de France

Au plus près de l’enfance

Le premier livre est né de la relation privilégiée entre l’auteur et les filles du doyen de Christ Church College, en particulier avec la petite Alice Liddell. C’est à sa demande que Carroll met par écrit, sous le titre Alice's Adventures Under Ground (Les aventures d'Alice sous terre), cette histoire d’abord privée, comportant de nombreux jeux de mots sur leurs noms et prénoms, inspirée par leurs amusements, leur quotidien scolaire, leurs après-midis de canotage.

 

Le merveilleux de ce monde semble plus largement refléter celui de la psyché enfantine, comme tout droit sorti de la tête d’un.e enfant : Alice rêve, et les tableaux se succèdent, sans guère de transition, où figurent les personnages tirés des histoires qu’elle imagine. Ce passage par le merveilleux est formateur : l’intrigue a pour enjeu central la question de la croissance (devenir grand ou pas, comment, à quel prix), concrétisée sous la forme des métamorphoses magiques. Géante, Alice est bien embarrassée ; minuscule, elle se noie dans ses larmes ; elle doit trouver la bonne taille pour passer la porte. Le parcours de la petite fille, au départ oisive et dissipée, est d’ailleurs, à la fin du premier volume, ressaisi par sa sœur aînée, adulte déjà, qui imagine la femme et la mère qu’Alice deviendra plus tard à son tour.

Aventures d'Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, illustré par John Tenniel (1869) Bibliothèque nationale de France
1951
Disney adapte les aventures d’Alice en dessin animé.

Des images marquantes d’Alice

La richesse de cet imaginaire du merveilleux enfantin a fait entrer Alice dans la mémoire culturelle, où son personnage est toujours repris et connu – les images, illustrations et adaptations cinématographiques y sont pour beaucoup. Carroll était lui-même un photographe portraitiste de grand talent, et il avait illustré le premier manuscrit d’Alice avant d’en confier les gravures à John Tenniel. Son Alice boudeuse, blonde aux grands yeux baissés, jupe bouffante et tablier, a durablement marqué les esprits, le dessin animé du studio Disney (1951) contribuant à la fixer sous cette forme.

 

La petite fille et ses compagnons hauts en couleur ont inspiré les plus grands illustrateurs et l’époque contemporaine aime à prolonger leurs aventures en ajoutant un peu de noirceur au souvenir d’enfance. Ainsi, le film de Tim Burton en 2010 ou la série Once Upon a Time in Wonderland (ABC, 2013-2014) imaginent tous deux une Alice devenue jeune adulte revenant au Pays des merveilles. L’héroïne étant extrêmement populaire au Japon, on la retrouve dans de nombreux mangas. Ceux-ci en décalent l’intrigue pour en accentuer la perversité et la violence (Alice in Borderland de Asô Haro à partir de 2011, Alice in Murderland de Yuki Kaori depuis 2014, Wonderland de Ishikawa Yugo depuis 2015) ou bien pour la placer au centre d’un jeu romantique (séries Alice au royaume de cœur, au royaume de trèfle, au royaume de joker).

Alice in Murderland, écrit et illustré par Raori Yuki (2016) Hachette / Pika Éditions 2016