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Un "petit peuple" au grand pouvoir

Par Anne Besson

Elles ont beau ne pas s’imposer par leur taille, nombreuses sont les petites créatures de fantasy à avoir marqué notre imaginaire. De la fée Clochette aux Minimoys, tous nous rappellent qu’ici, la magie n’a que faire de la carrure.

Corps
1904
James Matthew Barrie crée le personnage de la fée Clochette avec sa pièce Peter Pan

Le petit peuple : une version "dégradée" des mythes

On les appelle le "petit peuple". Gnomes, lutins, farfadets, gobelins ou trolls, autant de créatures issues des folklores occidentaux, souvent difficiles à distinguer les unes des autres tant leur infinie nomenclature laisse apercevoir de points communs. Hantant les landes et les bois, parfois les maisons, il convient de se méfier de leurs ruses et de se les rendre favorables par de menues offrandes et gestes de respect.

 

De nombreux beaux livres illustrés, évoquant des grimoires et jouant à croire en leur existence, en énumèrent les espèces. En France, "l’elficologue" Pierre Dubois en est le spécialiste et en Angleterre les images de Brian Froud ont marqué les esprits. Côté fictions, l’intrigue de la série romanesque Les chroniques de Spiderwick (Holly Black, Tony Di Terlizzi, 2003-2009) repose sur la découverte d’un tel ouvrage par une fratrie qui va dès lors être confrontée aux créatures décrites dans ce livre. De la même façon, dans leur album L’Herbier des fées (2011), Sébastien Perez et l’illustrateur Benjamin Lacombe prétendent nous donner accès au carnet intime d’un botaniste russe et à ses révélations sur l’existence du petit peuple près de nous.

 

Mais alors, pourquoi dit-on de ce peuple qu’il est petit ? Le folklore peut se comprendre comme une version "dégradée" des mythes, celtiques et scandinaves en l’occurrence. Le petit peuple, c’est ce qui reste des esprits anciens auquel on a cessé de croire, ce que la christianisation et la modernité ont laissé d’un rapport animiste à la nature.

Le marché du petit peuple, L'œuvre d'Arthur Rackham (1913) Bibliothèque nationale de France

Une miniaturisation contestée   

Les fées et les elfes médiévaux étaient de taille humaine et les histoires leur prêtent d’ailleurs souvent des liens amoureux avec des représentants de notre espèce, attirés dans leur royaume. Chez J.R.R. Tolkien, ces mêmes elfes sont grands et nobles, les nains, gobelins et trolls de belle stature. Rien à voir avec les nains de Blanche-Neige (Disney, 1937), les elfes de maison ou les gobelins de la banque Gringotts dans Harry Potter (J.K. Rowling, 1997-2007), ou encore avec les Trolls aux toupets multicolores popularisés auprès des enfants par des jouets et un dessin animé (Dreamworks, 2016).

 

Tolkien protestait justement contre cette miniaturisation très prisée par l’Angleterre victorienne (la reine Victoria était surnommé "The Faerie Queen"), et dont Shakespeare est un des grands inspirateurs, avec les personnages de Toile d’Araignée, Fleur des pois et Graine de moutarde, minuscules serviteurs de Titania dans Le Songe d’une nuit d’été (1594-1595).

 

Les petites fées aux ailes de libellules se multiplient à l’époque de James Matthew Barrie, qui en fixe les traits avec sa fée Clochette (Peter Pan, 1904). L’engouement se prolonge dans la première moitié du XXe siècle, avec l’affaire des fées de Cottingley, soi-disant photographiées par deux petites filles en 1917, ou encore avec les célèbres illustrations Flower Fairies de Cicely Mary Barker, chacune associée à une fleur. Aujourd'hui, les aventures des fées du pays de Magix, dans le dessin animé italien Winx Club (Iginio Straffi, depuis 2004) passionnent encore leur jeune public.

Fleur des pois, Toile d'araignée, Phalène, et Graine de moutarde, Le songe d'une nuit d'été de William Shakespeare illustré par Arthur Rackham (1909) Bibliothèque nationale de France
Peter Pan chatouillé par les fées, Peter Pan dans les jardins de Kensington de James Matthew Barrie, illustré par Arthur Rackham (1907) Bibliothèque nationale de France

Un peuple qui plaît à tous 

La fantasy pour la jeunesse a proposé de nombreuses variations sur les peuples minuscules. Ainsi le petit monde des Borrowers (ou Chapardeurs en français), initié par Mary Norton dans son roman Les Chapardeurs (1952), a été porté plusieurs fois à l’écran, notamment sous le titre Arrietty, le petit monde des chapardeurs (studio Ghibli, 2010). En 2006, Timothée de Fombelle inventait un arbre-monde pour son Tobie Lollness, et Luc Besson, la même année, des Minimoys au fond du jardin (Arthur et les Minimoys).

 

Prolongeant le combat de Tolkien contre les excès de mignardise, Philip Pullman fait de ses Gallivespiens des guerriers ombrageux de quinze centimètres aux éperons mortels, dans Le Miroir d’Ambre (À la croisée des mondes, tome 3, 2000). De son côté, Terry Pratchett exploite leur potentiel comique et leurs perspectives limitées dans sa trilogie Le Grand Livre des gnomes (1989-1990) ou leur irascible saleté avec le peuple des Nac mac Feegle dans Les Ch'tits Hommes libres (2003).

 

Les fées quant à elles peuvent enfin être le support d’une réflexion profonde et drôle sur la perte contemporaine de l’enchantement, dans des œuvres qui imaginent leur survie aujourd’hui (Les petites fées de New York, Martin Millar, 1992), ou demain (En revenir aux fées, Nathalie Dau, 2015; Techno Faerie, Sara Doke, 2016).

Une maison Bolmus, petit peuple de souris commerçantes, Child of Light : Art Book (2014) Ubisoft