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Livres magiques et pouvoir de l'imagination

Par Anne Besson

Lire un bon livre, quel que soit sa nature, c’est toujours s’en aller vers l’ailleurs. Mais la fantasy prend souvent cette métaphore au pied de la lettre avec des livres dans lesquels les héros plongent littéralement.

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L’Histoire sans fin, ou la magie de l’imagination créatrice

Pour les jeunes lecteurs, la fantasy présente la lecture et les pouvoirs de l’imagination comme une forme très puissante de magie, ouvrant les portes d’univers merveilleux. L’ouvrage qui en est sans doute le plus exemplaire est un roman allemand, L’Histoire sans fin, de Michael Ende (1979), adapté au cinéma par Wolfgang Petersen en 1984. Bastien, enfant complexé, délaissé par son père, se plonge avec passion dans la lecture d’un roman merveilleux titré L’Histoire sans fin. Il y découvre la Grande Quête du héros Atreju, son double, pour sauver le Pays Fantastique, véritable "pays des histoires", peuplé d’une multitude de créatures, et qui disparaît peu à peu, faute d’humains pour croire assez en lui. Les deux mondes sont d’abord distincts, mais Bastien finit par basculer littéralement dans l’histoire : devenu personnage, il se découvre alors doté de grands pouvoirs. En nommant les choses, il leur confère l’existence.

 

La magie de l’imagination créatrice, d’une réception qui donne vie au texte, est donc célébrée dans ce roman, mais il n’en dénonce pas moins les dangers symétriques d’une ivresse de l’évasion : avant de retourner, transformé, dans notre monde, Bastien a bien failli se perdre lui-même dans ses rêves de toute-puissance.

The Rocket Book (Le Livre Fusée), de Peter Newell (1012) Library of Congress
The Rocket Book (Le Livre Fusée), de Peter Newell (1912) Library of Congress
2003
Cœur d’encre crée une passerelle entre monde réel et monde des livres.

Les mondes merveilleux du livre

L’idée que les autres mondes de fantasy égalent les produits de la créativité humaine est omniprésente : ainsi dans La Quête d’Ewilan, de Pierre Bottero (2003) et ses suites, la dimension magique où s’enracine le pouvoir de l’héroïne s’appelle "l’Imagination". Le voyage des héros qui basculent dans d’autres univers fonctionne ainsi comme un reflet de celui du lecteur dans les fictions – surtout les récits merveilleux de l’enfance. Les contes figurent l’archétype de ces histoires primordiales, qui détiennent le pouvoir de nous faire retrouver un rapport magique aux choses. Même au cinéma, quand il s’agit de faire entrer le spectateur dans un "monde merveilleux du conte" le plus souvent parodié, l’image proposée est celle d’un livre qui s’ouvre et sur lequel la caméra va zoomer pour nous faire pénétrer au cœur des mots : The Princess Bride (Rob Reiner, 1987), Shrek (2001), ou encore Il était une fois (Kevin Lima, 2007) mettent ainsi en scène leur origine contique dès leur introduction.

 

La trilogie consacrée au Monde d’Encre par la romancière allemande Cornelia Funke (2003-2007) est un autre hommage au pouvoir des lecteurs. Meggie hérite en effet de son père Mo le don d’ouvrir des portes entre le monde des livres et le monde réel lorsqu’elle lit à haute voix. Des personnages sortent ainsi des 1001 nuits ou de Peter Pan, et depuis notre monde, les héros rejoignent celui du livre imaginaire appelé Cœur d’encre.

 

Le Livre des choses perdues, de John Connolly, propose lui aussi le beau récit d’une entrée dans le monde des histoires merveilleuses, plus sombres qu’il n’y paraît, et d’un voyage revêtant une dimension initiatique pour le jeune héros, en deuil de sa mère. De façon plus minoritaire, le cas symétrique, qui voit des créatures et des artefacts sortir de livres auxquels l’amour du public confère un pouvoir magique, se rencontre également. Dans la série du Bibliomancien de Jim Hines (depuis 2012), Gutenberg est le premier à avoir su l’exploiter, et les Gardiens préservent notre monde de la puissance et du danger des inventions qui peuplent nos fictions !

Lecteurs nés, Magie ex libris, 2
de Jim C. Hines (2017) L’Atalante, 2017

Rêves et jeux : de l’immersion au vertige

La célébration par la fiction de ses propres pouvoirs et dangers ne se limite pas à cet exemple. La réflexion sur les illusions, refuges et pièges qui nous consolent ou nous hantent, peut aussi adopter un vecteur onirique (Catherine Webb, La guerre des rêves, 2002), et très souvent ludique. Dans le jeu vidéo Myst (Robyn et Rand Miller, 1993), la quête des linking-books (livres-relais) permet de passer d’un monde à l’autre grâce à "l’Art d’Écriture".

 

La "réalité virtuelle" des jeux vidéo, et la vie de substitution qu’y trouveraient les jeunes générations, constituent également un domaine très exploré par la littérature de fantasy pour adolescents et jeunes adultes. Nombre de beaux ouvrages, comme Codex (Lev Grossman, 2004) ou L’Attrape-Mondes (Jean Molla, 2003), illustrent une hésitation vertigineuse sur la nature du réel (où commence-t-il et où s’arrête-t-il ?), qui touche jusqu’à l’identité des héros (qui est l’avatar ? - qui est le joueur ?).

 

Le genre de la fantasy est plutôt associé à "l’escapisme” : passée l’enfance, l’évasion risque souvent de ressembler à une fuite du quotidien. Elle s’est donc pleinement saisie de cette question, et tout en célébrant les ressources intérieures que procure la force de l’imagination, elle invite les jeunes consommateurs de fictions merveilleuses à s’interroger sur leurs motivations, pour établir fermement dans le monde réel leur propre espace des possibles.

Les créatures du livre s'invitent sous la couette, illustration de Mariachiaria di Giorgio (2016) Mariachiaria di Giorgio