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Le romantisme anglais, un Moyen Âge fantasmé

Par William Blanc

Largement idéalisé et romancé par les auteurs romantiques, le Moyen Âge rêvé ne l’est pas que pour son esthétisme. Derrière ces prises de liberté, on trouve bien souvent des critiques de la modernité.

Corps
1805
Publication par Walter Scott du poème Le Lai du dernier ménestrel, qui marque l'apparition du courant médiévaliste

Les deux "ailleurs" de l’Occident

Les auteurs romantiques du début du XIXe siècle sont largement associés à une redécouverte et une réinterprétation fantasmée du Moyen Âge appelée "médiévalisme". Ce phénomène doit beaucoup à l’une des personnalités phares de ce mouvement, Walter Scott, qui rencontre un grand succès dès 1805 en publiant le poème Le Lai du dernier ménestrel, avant d’écrire en 1819 le roman Ivanhoé, diffusant auprès d’un très large public, de la France aux États-Unis, sa fascination pour l’époque féodale.

 

Scott n’a pas été le seul à s’intéresser à cette période. En 1816, Samuel Taylor Coleridge publie deux poèmes majeurs, Christabel et Kubla Khan, consacré pour ce dernier à l’empereur mongol Kubilaï Khan (XIIIe siècle) et à son palais de Xanadu. En ce début de XIXe siècle, la vision fantasmée du Moyen Âge se mêle à celle de l’Orient (l’orientalisme) pour créer les deux "ailleurs" de l’Occident, l’un historique, l’autre géographique.

Richard et Wamba dans Ivanhoé, Œuvre d'Eugène Delacroix (1829) Bibliothèque nationale de France

Une réaction au siècle des Lumières 

Cette fascination pour une époque, qui, depuis le XVIe siècle, suscitait le plus souvent du mépris, doit d’abord se comprendre comme une réaction aux Lumières, tant esthétique que politique. Alors que les philosophes du XVIIIe siècle magnifiaient l’Antiquité, certains des romantiques voyaient dans le Moyen Âge une époque idéale où régnait un ordre social stable. L’idée, empruntée au philosophe conservateur Edmund Burke qui, après la prise de la Bastille, affirme que "l’âge de la chevalerie est passé", marque durablement Walter Scott, qui ne cessera de magnifier l’ancienne aristocratie féodale dans ses romans : Quentin Durward (1823) ou Le Talisman (1825).

 

Néanmoins, d’autres romantiques fascinés par cette période comme Lord Byron, Percy Bysshe Shelley et John Keats, affirment au contraire leur proximité avec les courants radicaux. Pour eux, le médiévalisme est avant tout un outil servant à critiquer les dérives de la révolution industrielle. Ils y voient une réponse au rationalisme mercantile des entrepreneurs londoniens.

Ils se plaisent à chanter un monde médiéval paré d’éléments fantastiques, comme le raconte La Belle Dame sans Merci, composée par Keats en 1819, d’après un texte français du XVe siècle. Pour l'auteur anglais, la pratique de l’art associé à la figure médiévale du poète s’oppose à celle de l’homme d’affaires moderne seulement préoccupé par les chiffres. Une pensée similaire est présente dans La Reine Mab, un poème philosophique (1813) de Percy Bysshe Shelley, dans lequel une fée du Moyen Âge (déjà chanté par Geoffrey Chaucer au XIVe siècle puis par William Shakespeare au XVIe) annonce l’arrivée d’une utopie future.

La Belle Dame sans Merci, peinture de Fanny Bunn (1901) Photo by Birmingham Museums Trust, licensed under CC0

Romantisme et fantasy

L’association effectuée par les poètes romantiques entre critiques du monde industriel et médiévalisme exerce une forte influence sur le critique d’art anglais John Ruskin et les artistes préraphaélites. Certains d’entre eux mettent en peinture La Belle Dame sans Merci (John Keats, 1819) alors que Ruskin, lui, célèbre la joie de l’artisan médiéval pour mieux critiquer l’oppression que subit l’ouvrier moderne dans les usines. William Morris s’en inspire quand il produit des poèmes avant de se tourner, à la fin de sa vie, vers l’écriture de romans se déroulant dans des mondes médiévaux imaginaires, prémices des univers merveilleux de J.R.R. Tolkien et de C.S. Lewis.

Architecture gothique : baies, The Seven lamps of architecture, illustration de John Ruskin (1897) Bibliothèque nationale de France
La Belle Dame sans Merci, poèmes de John Keats illustrés par Robert Anning Bell (1897) Bibliothèque nationale de France

La fascination des poètes romantiques radicaux pour le fantastique amène également certains auteurs de fantasy à faire d’eux des personnages romanesques. Tim Powers, dans son roman Les Voies d’Anubis (1983), fait de Samuel Taylor Coleridge un héros confronté à un vaste complot de mages orientaux, alors que les personnages de Lord Byron et John Keats s’opposent eux à des créatures vampiriques dans Le Poids de son regard (1989). Ces récits marqueront durablement le genre du steampunk et de son pendant féérique, la gaslight fantasy.

 

De son côté, Jonathan Strange et Mr Norrell (2004) de Susanna Clarke met en scène un héros qui rappelle fortement Byron. Cet ouvrage, adapté en mini-série télévisée par la BBC en 2015, évoque surtout en toile de fond les îles Britanniques durant les guerres napoléoniennes, prises entre la révolution industrielle et les derniers feux d’un monde magique qui refuse de disparaître. Dans ce roman, le pratiquant de la sorcellerie, ultime héritier d’une tradition séculaire, évoque la figure du poète romantique fasciné par le médiévalisme, celle d’un être tragique peinant à faire entendre ses craintes face aux bouleversements du monde.

Le poids de son regard de Tim Powers,
illustration d'Anne-Claire Payet (2013) Éditions Bragelonne, 2013
interview

Fantasy et critique du monde moderne

William Blanc nous explique comment la critique du monde moderne s'inscrit dans les récits de fantasy.